Comment la fin du monopole du CMI propulse le paiement électronique au Maroc

Un terminal de paiement électronique (TPE). LDProd

Après plus de vingt ans de monopole du CMI, le marché marocain des paiements électroniques s’ouvre à la concurrence. Cette libéralisation promet plus d’innovation, une baisse des coûts et une accélération de l’adoption des paiements digitaux dans tout le pays.

Le 21/09/2025 à 16h04

Le Maroc vit une transformation historique de son écosystème monétique. Longtemps acteur unique de l’acquisition des paiements par carte, le Centre monétique interbancaire (CMI) a vu son quasi-monopole prendre fin en 2025.

Avec l’entrée de nouveaux acquéreurs (acteurs qui permettent aux commerçants d’accepter les paiements par carte bancaire ou moyens électroniques) et leur mobilisation pour opérer une mutation du secteur, c’est toute l’architecture des paiements électroniques qui bascule vers un modèle plus ouvert, plus compétitif et plus inclusif, en phase avec les ambitions de la stratégie Digital Morocco 2030.

Quasi-monopole du CMI: une success story devenue contrainte

Le CMI a été créé en 2001, dans la continuité de la modernisation des services financiers initiée dès les années 1970 par les banques marocaines et leurs partenaires technologiques. Pendant plus de vingt ans, il a joué un rôle central: celui d’acquéreur unique.

Concrètement, il était l’intermédiaire obligé pour tout commerçant souhaitant accepter les paiements par carte. Cette centralisation a permis de bâtir une infrastructure fiable et sécurisée, d’assurer l’interopérabilité des transactions et de diffuser la carte bancaire dans tout le pays. Avec le temps, le CMI est devenu un acteur incontournable, traitant plus de 97% des transactions scripturales au Maroc.

Mais ce modèle centralisé, longtemps perçu comme un gage d’efficacité et de sécurité, montrait ses limites: manque de concurrence, frein à l’innovation, coûts élevés pour les commerçants et une dépendance excessive à un seul opérateur.

Novembre 2024: la décision historique du Conseil de la concurrence

Le tournant intervient en novembre 2024, lorsque le Conseil de la concurrence, saisi par l’établissement de paiement Naps, se prononce contre le quasi-monopole du CMI.

Il impose au CMI et à ses neuf banques actionnaires une série d’engagements structurels et comportementaux. Le but est clair: ouvrir le marché, permettre à de nouveaux acteurs d’entrer et instaurer un cadre concurrentiel transparent et équitable.

Cette décision marque une rupture après plus de vingt ans de statu quo et place le Maroc dans la dynamique mondiale de libéralisation des services de paiement.

Mai 2025: l’ouverture officielle du marché

Depuis le 1er mai 2025, une première vague d’opérateurs -filiales spécialisées de grandes banques et établissements de paiement indépendants (Naps, VPS, Al Barid Bank, Damane Cash…)- peut contracter directement avec les commerçants.

Ils proposent désormais leurs propres terminaux de paiement électronique (TPE), des solutions de paiement e-commerce et de nouveaux services liés aux transactions par carte.

En parallèle, le CMI n’abandonne pas le terrain: il se repositionne en plateforme technique neutre et interopérable, sur laquelle tous ces nouveaux acquéreurs peuvent s’appuyer. La réforme prévoit qu’à terme, près de 55.000 contrats commerçants et 65.000 TPE migrent vers ces nouveaux acteurs, avec une date butoir fixée au 1er novembre 2025.

Casablanca Payment Agreement: un moment fondateur

C’est dans ce contexte de libéralisation qu’a eu lieu, le 18 septembre 2025 à Casablanca, une grande rencontre baptisée «Casablanca Payment Agreement».

À l’initiative du CMI, plus de 150 acteurs -des représentants des régulateurs, des banques, des établissements de paiement, du SWAM, des schémas internationaux, ainsi que des partenaires technologiques et financiers et des fédérations professionnelles- étaient réunis.

Cette rencontre a consacré une vision commune: bâtir une infrastructure monétique nationale moderne, inclusive et ouverte, capable de répondre aux besoins d’une économie en pleine digitalisation.

«Avec le Casablanca Payment Agreement, nous annonçons une étape historique qui place l’innovation, la confiance et la coopération au cœur de la transformation de la monétique au Maroc», a déclaré Rachid Saihi, directeur général du CMI.

Les premiers résultats: une dynamique accélérée

Dès la phase pilote, sept acquéreurs -Al Filahi Cash, Attijari Payment, Damane Cash, Lanacash, M2T, Saham Paiements et CDM Pay- ont lancé leurs services, réussissant à affilier 2.000 commerçants en seulement quelques mois.

Cette rapidité est exceptionnelle: là où de tels projets prennent plusieurs années dans d’autres pays, le Maroc a réussi à industrialiser le processus en six mois, selon le même responsable.

Aujourd’hui, le marché enregistre déjà une progression constante des volumes, preuve que les commerçants et consommateurs s’approprient cette nouvelle offre.

Une révolution aux multiples enjeux

La libéralisation du marché monétique est porteuse de multiples opportunités, selon les experts. Il s’agit notamment de stimuler l’innovation avec la généralisation du sans contact, du QR code et du paiement via smartphone, tokenisation et réduire les coûts pour les commerçants grâce à une concurrence accrue.

Elle permettra aussi, selon eux, d’élargir l’inclusion financière, notamment en intégrant les petits commerces et les zones rurales, réduire la dépendance au cash, qui reste encore dominant au Maroc (les paiements scripturaux par carte ne représentent encore que 12% des opérations, la majorité restant dominée par les retraits en espèces), renforcer la transparence économique et élargir l’assiette fiscale.

Des défis tout aussi importants

Mais une multitude de défis persistent, dont certains ont été soulignés par les acteurs qui sont intervenus lors de la rencontre Casablanca Payment Agreement. Il s’agit essentiellement d’assurer la confiance des usagers dans un contexte de volumes croissants, respecter les standards internationaux et les exigences locales.

Il s’agit aussi d’équiper rapidement des milliers de commerçants supplémentaires, y compris dans les localités éloignées où la logistique est plus coûteuse, habituer les consommateurs à utiliser la carte plutôt que le cash et investir dans des infrastructures capables d’absorber des pics de transactions et de garantir une disponibilité quasi totale.

Un CMI en pleine mutation

Face à cette recomposition, le CMI se réinvente. Devenu une plateforme multi-acquéreurs, il concentre désormais ses efforts sur l’innovation continue (nouvelles solutions de paiement, services à valeur ajoutée), la cybersécurité et la lutte contre la fraude, l’accompagnement des nouveaux entrants. Son ambition: devenir un hub technologique régional de référence dans le domaine des paiements.

Une dynamique inscrite dans Digital Morocco 2030

Le Maroc affiche déjà des performances notables: 80.000 points de vente équipés, plus de 200 millions d’opérations monétiques traitées en 2024, 75% des transactions déjà effectuées en sans contact.

Avec la libéralisation en cours, l’objectif est désormais d’aligner l’infrastructure nationale sur les standards mondiaux et de contribuer pleinement à la stratégie Digital Morocco 2030, qui place la digitalisation et l’inclusion financière au cœur de la transformation du pays.

«Notre ambition est claire: bâtir un marché monétique moderne, compétitif et accessible à tous», a conclu Rachid Saihi, DG du CMI.

Une révolution encore en marche

La libéralisation du paiement électronique au Maroc ne fait que commencer. Si l’arrivée de nouveaux acquéreurs pourrait amener à terme une baisse des coûts et une meilleure qualité de service, la véritable bataille se jouera sur le terrain: convaincre les commerçants, rassurer les consommateurs et garantir une transition sans heurts.

D’ici le 1er novembre 2025, date butoir fixée par le Conseil de la concurrence, le marché marocain devrait basculer définitivement vers une architecture multi-acquéreurs. Ce sera alors l’avènement d’une nouvelle ère: plus de choix, plus de concurrence et plus d’inclusion financière au service d’une économie marocaine en pleine modernisation.

Par Lahcen Oudoud
Le 21/09/2025 à 16h04