«On ne traite presque plus de dossiers de crédits. On passe le plus clair de notre temps à essayer de faire du recouvrement plutôt que de mener des actions commerciales». Pour ce directeur d’une agence bancaire, l’année 2015 est la plus noire qu’il n’a jamais connue de ses 18 ans de carrière. Les statistiques publiées régulièrement par la banque centrale le réconfortent dans ce sentiment. La dernière livraison arrêtant les comptes bancaires à fin août, révèle un recul des créances sur l’économie de quelque 12 milliards depuis le début de l’année pour s’établir à 878,6 milliards de dirhams. Les crédits bancaires, eux, font du surplace entre janvier et août dernier à hauteur de 763 milliards. Et encore, ces statistiques ont retrouvé récemment des couleurs, sachant qu’à fin mai dernier, les prêts distribués par les établissements bancaires avaient piqué du nez pour s’établir à 752 milliards.
Les trésoreries asphyxiées
Cette tendance qui s’inverse inquiète les cols blancs surtout que la répartition de ces crédits bancaires révèle des indicateurs qui ne sont pas de bon augure pour la performance économique. La décélération du crédit s’est en effet accentuée au cours des deux derniers mois avec 13 milliards de dirhams de baisse constatée entre fin juin et fin août. Et ce sont les crédits à la trésorerie qui sont les plus affectés par cette réduction du volume: 5 milliards de dirhams de baisse sur les deux derniers mois. «Les instructions venues du siège sont claires: nous n’avons plus le droit de permettre le moindre dépassement à nos clients», confie notre banquier. Une mesure confirmée par ce chef d’entreprise: «On se retrouve dans une spirale infernale: nos clients n’ont plus de facilités de caisse, ils nous paient alors en retard et nous mettent nous-mêmes en difficulté de trésorerie ce qui nous compromet avec nos fournisseurs. A leur tour, ces derniers se retrouvent en panne sèche de liquidités…», nous explique cet entrepreneur qui a vu sa ligne de crédit de trésorerie réduite de 25% depuis le début de l’année avec la baisse de son volume d’activité: «Normal, je suis de plus en plus exigeant avec mes clients en matière de délai de paiement», nous confie-t-il.
Pour les investissements, il faudra repasser…
Autre indicateur alarmant: la baisse des crédits à l’équipement depuis le début de l’année (de 146 à 143 milliards de dirhams) qui en dit long sur le ralentissement des investissements. Cette tendance est encore plus marquée dans le secteur privé: les crédits à l’équipement accordés aux sociétés non financières privées ont fondu de quelque 6 milliards de dirhams selon les statistiques de Bank Al-Maghrib. «On ressent un certain attentisme de la part des entreprises qui diffèrent leurs investissements en attendant de voir plus clair quant aux perspectives de la croissance économique», assure un cadre bancaire. Du côté des entrepreneurs, on a droit à un autre son de cloche: «Depuis des années déjà, le volume des crédits distribués par les banques dépasse le montant des dépôts dont elles disposent. Elles se montrent donc plus sélectives quand il s’agit de nous accompagner, à long terme, sur des projets risqués », nous explique ce chef d’entreprise.
Risque & rentabilité
Le risque de défaillance reste en effet la grande hantise des établissements bancaires, surtout dans une conjoncture marquée par l’envolée des créances en souffrance. Celles-ci ont augmenté de 4 milliards de dirhams depuis début 2015 (pour dépasser les 56 milliards à fin août). Les établissements de crédits arrivent pourtant à maîtriser ce paramètre qui influe considérablement sur leurs résultats. «L’effort de provisionnement fourni par le top 3 du secteur bancaire marocain -à savoir Attijari, BCP et BMCE- ces dernières années, a contribué à l’allégement du coût du risque et ce, à travers l’enregistrement d’importantes reprises au cours des six premiers mois de l’exercice 2015», peut-on lire dans une note de recherche d’Upline Securities qui précise que la charge de risque sectorielle s’est allégée de quelque 4,4 milliards de dirhams. «Capitalisant sur la baisse du coût du risque, la capacité bénéficiaire du secteur (au premier semestre 2015, ndlr) enregistre une progression de 2,2% à 5,1 milliards de dirhams», ajoute les analystes financiers d’Upline Securities qui restent persuadés que les banques marocaines ne peuvent compter que sur les activités à l’international et sur les opérations de marché pour continuer d’afficher une croissance de leurs résultats. Les perspectives de la demande de crédit restent, en revanche, assez sombres. Même Bank Al-Maghrib a dû réviser à la baisse ses prévisions de croissance des crédits en 2015. Alors qu’elle tablait sur une progression de 4% en début de l’année, la gardienne du temple espère voir le secteur solder l’année sur une hausse de 3% seulement. Et même cet objectif ne sera pas simple à atteindre, à moins qu’un grand projet public ou privé ne vienne booster les chiffres…