La voie stratégique pour Autoroutes du Maroc (ADM) est censée être toute tracée: trouver des sources de financement pour construire des autoroutes et les exploiter de manière efficiente pour générer, à terme, de quoi entretenir les tronçons, rembourser la dette et –avec une bonne dose de rationalisation– dégager de quoi amorcer de nouveaux projets. Sauf que la conduite d’un tel business-model suppose une planification sans failles que ce soit pour le montage de financement, le lancement des travaux ou encore l’entrée en exploitation.
Cette rigueur dans le pilotage stratégique semble pourtant toujours manquer à ADM, dont les dirigeants se démènent comme ils le peuvent pour éviter de se retrouver dans le fossé. Avec des projets d’investissements qui accumulent du retard et des plans de financement en révision permanente, les décalages dans le timing ont tendance à s’accumuler menaçant l’effondrement de son modèle économique.
Indice qui ne trompe pas: le taux de réalisation des investissements limités à 26% sur les deux milliards de dirhams de l’enveloppe budgétisée en 2019.TAUX DE REALISATION DES INVESTISSEMENTS
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Un niveau risible, mais surtout alarmant quant à l’efficacité de la planification des projets de la société publique.
«Il est principalement expliqué par le glissement des projets autoroutiers budgétisés sur l’année pour trois raisons essentielles: bouclage de financement, assainissement du foncier ou adaptation technologique», cherche à relativiser Anouar Benazouz, directeur général d’ADM, en réponse aux questions que Le360 lui a adressées.
Pourtant les trois projets cités par le manager pour illustrer ces problématiques totalisent un niveau de réalisations de 94 millions de dirhams, sur une enveloppe de près d’un milliard, soit la moitié du budget. Il s’agit donc de trois projets phares de l’année qui n’ont pu être menés à bien pour des difficultés structurelles auxquelles Autoroutes du Maroc devait prévoir, ou du moins prendre en compte, avant de lancer de grandes promesses.
A titre d’exemple, les difficultés de bouclage de financement du «grand chantier d’élargissement à 2x3 voies de l’autoroute Casablanca-Berrechid, et de l’autoroute de contournement de Casablanca», comme le présente son président-directeur général, sont justifiées par la documentation officielle d’ADM par «une exigence de préférence nationale objectée par la Banque Européenne d’Investissement (BEI)».
Une objection que l’équipe d'Anouar Benazzouz aurait pu anticiper, au moins en prévoyant un planning plus adapté, sachant que la BEI compte parmi les plus importants bailleurs de fonds de l’entreprise étatique. D’autant que la BEI est loin d’être en position de force sur une table des négociations avec ses créanciers…
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En mai 2019, quatre contrats de financement, rien qu’avec la BEI, ont été amendés de manière à reporter un encours de 3,2 milliards de dirhams, exigible sur la période 2019-2032, soit 45% de l’encours à payer sur cette période. ADM peut se vanter que ce «reprofilage va permettre de baisser le service de la dette sur la période 2019-2032 d’une moyenne annuelle de 196 millions de dirhams», mais elle se garde bien d’évoquer le surcoût au-delà de cette échéance.
A croire que le management d’ADM cherche avant tout de ne pas se retrouver en défaut de paiement sur les prochaines années et de repousser les difficultés à un horizon plus lointain. D’ailleurs même la dette obligataire fait l’objet d’une restructuration continue, comme une sorte de fuite en avant qui mène droit au mur, comme énoncé dans cet extrait éloquent du rapport de gestion financière remis à l’Autorité marocaine des marchés de capitaux (AMMC): «ADM souhaite effectuer de nouvelles opérations de reprofilage obligataire pour réduire les murs de remboursement In Fine des années 2022-2025 d’un montant total de 1,5 milliard de dirhams, ainsi que les murs de remboursement In Fine des années 2029-2032 d’un montant total de 7,8 milliards».
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La dette colossale avoisinant les 40 milliards de dirhams pour Autoroutes du Maroc ne semble pourtant pas inquiéter Anouar Benazzouz. «Le niveau d’endettement d’ADM reflète son modèle économique qui a permis de bâtir un patrimoine national de 1800 km de réseau autoroutier. Le ratio d’endettement d’ADM reste très raisonnable pour un concessionnaire autoroutier avec à son actif plus de 55 Milliards de DH d’investissement», explique-t-il, en assurant que ce ratio s’inversera sur le long terme.
Pour cela, il va falloir attendre que les dettes soient absorbées pour alléger le résultat financier, ce qui ne risque pas de se produire de sitôt, voir jamais si ADM n’arrive pas à se maintenir à flot. Car à court terme, il y a péril en la demeure: le service de la dette constitue la sortie de cash la plus importante pour la société, avec 3,6 milliards de dirhams exigibles en 2020.
Une trésorerie dont ne dispose pas ADM, dont le chiffre d’affaires affecté par le coronavirus et le confinement devrait à peine s’arrêter à 1,8 milliard de dirhams (hors taxes) à la fin de l’année. Et devinez qui devra passer au «péage»?