Avec le 737 MAX, dont 371 exemplaires ont été mis en exploitation, Boeing voulait justement rattraper son retard sur Airbus sur le segment moyen-courrier. L'avionneur américain prévoyait de livrer plus de 500 exemplaires supplémentaires de son best-seller d'ici la fin de l'année, au rythme actuel de 52 appareils produits chaque mois.
A court terme et sur le plan commercial, Airbus pourrait donc profiter de la crise dans ses campagnes en faveur de son propre best-seller, l'A320, grâce auquel il domine le segment moyen-courrier avec 60% des parts de marché.
Mais avec un carnet de commandes de plus de 6.500 appareils représentant une dizaine d'années de production, Airbus n'a pas les moyens de répondre à un trop fort afflux de demande. Il est lui-même en montée en cadence de production de son avion A320neo, dont la chaîne d'approvisionnement industrielle est déjà en tension.
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C'est à plus long terme que les conséquences pourraient se faire éventuellement sentir. Boeing a en projet un nouvel appareil destiné au "milieu du marché" du transport aérien, déjà baptisé 797 par les passionnés d'aéronautique, pour lequel une décision sans cesse repoussée devrait être prise en 2020. Tout retard sur ce programme profitera donc à son rival européen, qui dit contrôler déjà ce segment avec son A321neo Long Range.
Au-delà de l'impact commercial et industriel, c'est aussi sur l'image que la bataille entre les deux géants se joue, et Boeing vient certainement de perdre une manche.
"Lorsque votre réputation dépend de la sécurité, il importe peu de savoir ce qui a été prouvé ou qui est en faute", écrit Judson Rollins, analyste chez Leeham News, une des grandes revues américaines de l'aérien. "Ce qui compte est que l'on vous voit monter en première ligne pour protéger la sécurité publique - à tout prix."
Or dans cette crise, Boeing - et les Etats-Unis plus généralement - ont longtemps défendu le 737 MAX, alors même que le reste du monde l'interdisait ou le suspendait.
La Chine a joué un rôle central dans cette crise. Pékin a en premier décidé de clouer au sol les 737 MAX, rapidement suivi par le reste du monde, puis les Etats-Unis en dernier. Et ce alors que le 737 MAX est une monnaie d'échange dans le bras de fer commercial en cours entre Pékin et Washington.
Ce faisant, elle a déplacé le centre de gravité de l'aérien dans le monde, jusque-là dominé par la Federal Aviation Administration (FAA) américaine grâce au poids du marché US.
L'Europe et son Agence de sécurité aérienne (EASA) n'ont pas le même poids.
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"La Chine a le poids pour donner le ton", relève Philippe Plouvier, expert aéronautique et directeur associé au cabinet de conseil Boston Consulting Group. "Elle représentera 30% du marché mondial d'ici 2025 et probablement 80% de la croissance. Elle est incontournable pour Airbus et Boeing."
Le processus de certification des nouveaux avions, sésame de leur commercialisation dans le monde, est aujourd'hui à la discrétion de la FAA et de l'EASA, grâce au duopole Boeing-Airbus. Mais le poids grandissant de la Chine dans l'aérien - elle a commandé près du quart des 737 MAX - lui permet d'imposer ses vues aux Américains et de se placer dans un jeu désormais à trois.
La Chine a en effet de grandes ambitions avec son propre C919 pour concurrencer les moyen-courriers de Boeing et Airbus.
Elle voudra sans doute avoir son mot à dire une fois que la FAA aura autorisé la reprise des vols du 737 MAX, et réclamera peut-être de certifier elle-même l'appareil avant de le laisser reprendre les airs, un scénario cauchemar pour Boeing.