L’imposture voulant faire passer un pur produit du patrimoine ancestral marocain pour un élément culturel algérien était cette fois trop flagrante. Et l’acte est très grave. D’où la montée au créneau du Royaume, via le ministère de la Culture, pour alerter sur une véritable tentative d’usurpation, en l’occurrence d’une variante noble du caftan marocain. Il s’agit de l’exploitation par le régime d’Alger d’une photo et de séquences vidéo relatives au caftan Ntaâ de Fès, présentées comme un élément d’un dossier algérien d’inscription de certains costumes auprès de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).
Si le dossier algérien porte sur le «Costume féminin de cérémonies dans le Grand Est de l’Algérie: savoirs et savoir-faire associés à la confection et à la parure de la gandoura et de la melehfa», proposé pour inscription au titre du cycle 2024, laisse supposer qu’il s’agit d’habits de la région orientale de l’Algérie, un intrus dans cette présentation témoigne d’une tentative d’appropriation d’un patrimoine par ce pays qui doit son nom à un général français en 1839, et qui n’existe en tant qu’État que depuis 1962. L’intrus en question est un caftan marocain.
L’imposture, cousue de fil blanc, ne pouvait rester sans réponse. Dans une lettre adressée à Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, le ministre marocain de la Culture Mohammed Mehdi Bensaid interpelle quant à la gravité de cette tentative d’appropriation culturelle et appelle à une réaction de la part de l’organisation onusienne.
«Le Royaume du Maroc voudrait attirer l’attention de l’Unesco et de ses États membres, notamment ceux faisant partie du Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, ainsi que du Secrétariat de la Convention de 2003 et de son organe d’évaluation, sur certaines manœuvres d’appropriation semant la confusion quant à l’authenticité et l’origine de certains biens du Patrimoine culturel immatériel marocain», écrit d’emblée le ministre.
Mohammed Mehdi Bensaid cite précisément l’inclusion de l’image et de séquences vidéo du caftan Ntaâ marocain dans le dossier algérien. L’usurpation est d’autant plus condamnable qu’elle tend à instrumentaliser la convention précitée et à décrédibiliser une organisation aussi essentielle et aussi prestigieuse que l’Unesco.
Par conséquent, le Maroc demande le retrait pur et simple de ces illustrations prêtant volontairement à confusion. Ceci, «au regard de l’histoire et des multiples réclamations insistantes, mais légitimes de l’opinion publique marocaine, dont celles des communautés marocaines dépositaires d’un savoir-faire ancestral transmis de génération en génération dans les différents corps de métier liés au Caftan; incarnant par excellence les valeurs de paix et de tolérance de l’identité marocaine», lit-on dans cette lettre.
Le département de tutelle ne manque pas de relever l’incohérence flagrante constatée dans le dossier algérien. Ce dernier se réfère à des habits supposément algériens comme la gandoura et la melehfa, mais se permet d’exploiter, toute honte bue, un style de caftan constitutif de l’identité marocaine. «Toute fille marocaine rêve d’avoir un Ntaâ dans sa garde-robe pour les très grandes occasions. C’est un véritable trésor qui non seulement ne se démode pas, mais prend de la valeur avec le temps. Les femmes se le transmettent de mère en fille sur plusieurs générations et c’est un honneur que de le porter», nous explique cette styliste passée maîtresse dans l’art du caftan.
Comme tout connaisseur de traditions vestimentaires le sait, une melehfa ou une gandoura ne saurait en aucun cas refléter l’histoire et la quintessence de la variante la plus noble du caftan marocain. «Au regard de la sensibilité suscitée par cette question, le Royaume du Maroc appelle à la préservation de l’esprit et de la neutralité de notre Convention qui ne devrait pas faire l’objet d’instrumentalisation à des fins politiques, tel que le reflète la volonté manifeste de la part de la partie algérienne de maintenir une photo ne correspondant absolument pas à l’élément introduit pour inscription», précise le ministère.
Le Maroc alerte par la même occasion sur les dangers liés aux tentatives d’appropriation, devenues récurrentes, des éléments du patrimoine culturel immatériel marocain. Et d’appeler à la vigilance nécessaire dans le traitement des candidatures d’inscription de manière à ce qu’elles reflètent fidèlement et respectueusement l’histoire, les spécificités et la richesse du patrimoine culturel de chaque pays.