S’il vous plait! Ouvrez-nous vite la Maison de la Photographie dans la Médina de Casablanca!

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueUne lettre ouverte bouleversante, dans les réseaux sociaux. Touhami Ennadre, artiste-photographe, répond à l’article de la journaliste Zineb Ibnouzahir (Le360): «La chronique d’un abandon par ceux qui prétendent la servir», faisant allusion à la Maison de la Photographie – Médina de Casablanca qui n’a jamais ouvert.

Le 28/11/2025 à 10h58

Dans sa lettre, Touhami raconte sa trajectoire: enfant des ruelles de la médina devenu photographe, héritier d’une culture populaire qu’il a honorée toute sa vie. Son projet était simple et grand: offrir ses archives, son savoir-faire, son regard, aux jeunes qui n’ont pas accès à un lieu d’art. Leur donner une chance de créer, de raconter eux-mêmes leur histoire, de sortir du mépris, de la misère.

Qui est Touhami Ennadre? Un photographe de renommée mondiale. Avec une brillante carrière à l’étranger, il reste profondément lié à ses racines casablancaises.

Touhami travaille exclusivement en noir et blanc. Pour lui, le noir est une couleur de la lumière. Il ne reproduit pas la réalité. Il en saisit l’humain, l’émotion, la profondeur. Il se décrit comme un peintre dans le noir.

À travers ses œuvres, il aborde des thèmes universels: humanité, spiritualité, souffrance, mémoire, corps, lumière et ombre.

Il a exposé dans les musées et galeries les plus prestigieux du monde. Il a été décoré des insignes de Chevalier des Arts et Lettres par la France pour son rôle d’artisan de la lumière.

Touhami a rêvé de créer une Maison de la Photographie dans la médina de Casablanca, espace de mémoire, de partage.

Il a conçu le projet en partenariat avec l’architecte japonais Tadao Ando, une légende de l’architecture contemporaine, Lauréat du Prix Pritzker, l’équivalent du prix Nobel de l’architecture. L’idée était de concevoir un bâtiment de référence mondiale pour le rayonnement de la médina, du Maroc.

Ce bâtiment est achevé. Je l’ai visité. Une splendeur. Mais il est fermé depuis 5 ans. J’ignore qui en est responsable, mais ce que je sais c’est qu’au rez-de-chaussée, une salle, à l’entrée, a été transformée en salle de formation, avec chaises, bureau et tableau. Un gâchis!

«Touhami a agi en bon citoyen, en homme de parole, en fils de la médina. Il n’a rien demandé pour lui-même»

—  Soumaya Naâmane Guessous

Touhami a voulu faire de ce centre un espace ouvert, d’échanges, d’ateliers, de master-classes, de résidences pour toutes sortes d’artistes. Pour les jeunes de la médina et pour les étrangers.

Dans sa lettre, il rappelle qu’il est né dans la médina, qu’il connaît ses failles, ses besoins, mais aussi sa dignité. Il a voulu offrir aux jeunes de son quartier un espace d’apprentissage, de création, d’émancipation. «Mon projet n’était pas un rêve personnel. C’était une promesse», écrit-il. Une promesse faite aux siens, à sa mère, à chaque enfant de ces ruelles qui n’ont jamais vu une école d’art.

La Maison de la Photographie n’est pas un caprice d’artiste, mais une vision portée par cinquante ans d’archives photographiques, par un regard unique sur le Maroc populaire, par une ambition sociale et culturelle.

Ce projet, le seul au Maroc, pourrait devenir un fleuron. Une fierté nationale. Un espace de transmission et de réparation, comme Touhami le dit.

À la mort de Zoulikha Nasri, la seule, selon lui, à avoir perçu la portée profonde et juste du projet, les portes ont commencé à se fermer, une à une. Les réponses ont cessé. Les rendez-vous se sont évaporés.

Dans sa lettre ouverte, l’artiste raconte ses démarches répétées auprès de toutes les institutions qui auraient pu accélérer l’ouverture de cet espace. Pas de réponse! Pas même le respect minimal d’un refus explicite.

Touhami a agi en bon citoyen, en homme de parole, en fils de la médina. Il n’a rien demandé pour lui-même. Il a investi son temps, sa santé, son travail, dans un projet conçu pour les autres, pour le peuple, pour les jeunes, pour la mémoire de Casablanca. Il a voulu rendre ce que la médina lui avait donné.

Ses photographies, celles qu’il partage avec sa lettre, la série Mes Admirables Mères, sont d’une beauté saisissante. Elles témoignent de son amour profond pour ces femmes, ces visages, ces vies qui ont construit l’âme du Maroc populaire. Elles incarnent tout ce que la Maison de la Photographie pourrait transmettre.

Cela fait cinq ans que ce bâtiment reste fermé. Cinq ans pendant lesquels il aurait pu accueillir des jeunes, accompagner des artistes, ouvrir des horizons. Cinq années perdues pour une génération qui aurait pu y trouver un espace pour apprendre, créer, se révéler.

Nous attendons l’ouverture du grand théâtre de Casablanca. Mais ici, il ne s’agit pas d’un simple théâtre où l’on vient se divertir. Il s’agit d’un outil de formation, une chance rare pour des jeunes qui en ont été privés.

La Maison de la Photographie reste une nécessité pour le Maroc.

Le Maroc regorge de talents, d’artistes, de créateurs, de penseurs, mais ils se heurtent trop souvent à des murs d’inertie, de lenteur administrative, à des incompréhensions...

Beaucoup vont frapper à la porte des instituts étrangers, au Maroc, et doivent attendre leur tour s’ils sont retenus et qu’on daigne leur donner une chance.

Ce projet mérite de vivre enfin. Casablanca mérite un tel lieu. La médina en a besoin. La culture marocaine mérite cet espace de transmission digne d’elle.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 28/11/2025 à 10h58