L’initiative est louable. L’idée est belle. Royal Air Maroc, la compagnie nationale, a lancé vendredi 16 septembre un concours joliment intitulé «Wings of africain art» (les ailes de l’art africain). Ce concours consiste à habiller trois avions de la RAM par des artistes plasticiens. Jusque-là tout va bien et il n’y a que des motifs pour féliciter la RAM de distinguer trois de ses appareils par une touche artistique. Le concours en question se limite exclusivement à des artistes africains.
Là encore tout coule de source, puisque la RAM est l’un des importants transporteurs de l’Afrique vers l’Europe. Quoi de plus naturel que de privilégier les artistes du continent. Puis, on lit une phrase et on s’arrête pour se frotter les yeux. «L’appel à candidature des artistes pour la sélection de “Wings of African Art“ est ouvert jusqu’au 22 septembre», lit-on dans le communiqué de la RAM. Oui, vous avez bien lu: jusqu’au 22 septembre. Six jours pour concevoir une œuvre aussi ambitieuse. Un délai aussi court n’est pas possible. Il doit y avoir une coquille, une erreur. La RAM est une compagnie sérieuse. Elle ne peut pas lancer un concours international le vendredi et demander aux artistes de livrer leur copie le jeudi. Il faut à tout prix contacter la RAM pour demander des explications.
Contactée par Le360, la chargée du concours, qui souhaite garder l’anonymat !, confirme le délai du 22 septembre. Mais elle tempère en expliquant que les artistes n’auront qu’à «envoyer une idée, juste une ébauche». Même si les idées ne tombent pas du ciel et qu’il faut un peu de temps pour réfléchir, se renseigner, se documenter, pourquoi bousculer de la sorte les artistes ? «En réalité, nous sommes pressés par le temps… Vous savez il y a la Cop 22 très bientôt… Mais les artistes n’ont qu’a être rassurés, nous ne leur demandons pas d’envoyer tout le dossier. Juste l’idée », insiste cette source de la Royal Air Maroc. Quel lien entre la Cop 22 et le concours de la RAM ? Et subitement, on comprend… Ce concours est probablement destiné à couvrir des avions de la RAM qui seront opérationnels pendant la Cop 22. Rappelons que les travaux de la Cop 22 débutent le 7 novembre à Marrakech.
Donc, la RAM impartit 6 jours aux artistes pour pondre une idée. Combien de jours pour finaliser le dossier, les maquettes, les essais ? Et combien de jours pour exécuter l’œuvre ? Avec des délais aussi courts, ce n’est pas à des artistes que la RAM devrait s’adresser mais à un sprinter, très rapide, du genre Usain Bolt… Et encore, pas sûr qu’il arrive dans les temps.
Les dès pipés ?Nous demandons à des artistes marocains, habitués des concours, ce qu’ils pensent des délais de la RAM. L’un d’eux lance en colère : «C’est ridicule, c’est de la bêtise !» Quant à Mohamed Melehi, pourtant connu par ses propos tempérés, il ne cache pas sa colère : «Pourquoi être pressé de la sorte ? Six jours ce n’est pas sérieux, ce n’est pas déontologique. Cela signifie qu’il y a plusieurs artistes qui ne vont pas pouvoir participer à ce concours et que le résultat au pire sera très médiocre ou encore que la compagnie a déjà un nom dans le circuit et pour le justifier, elle lance le concours comme ça elle est blanchie et le dossier est clos». Un concours déjà attribué et on lance un appel d’offres pour ne pas enfreindre la loi, cette thèse est également avancée par un directeur artistique grand habitué des appels d’offres qui a confié à Le360 qu’il y a une seule explication à ce délai impossible : «le nom du candidat est sûrement connu d’avance». Il est à rappeler que la RAM est une compagnie dont l’actionnariat est majoritairement public : 53,4% l’Etat et 44,10% le Fonds Hassan II. A ce titre, elle est soumise à la réglementation des marchés publics.
Mehdi Qotbi, président du juryDans le communiqué de la RAM, on lit : «Les œuvres finales qui habilleront les avions seront choisies par un jury présidé par Mehdi Qotbi et composé d’artistes de renom et de critiques d’art ainsi que par le vote du public.» Comment est-ce que le président de la Fondation nationale des musées, supposé être au fait des délais pour concevoir ce genre d’œuvres, peut-il accepter de présider le jury d’un concours impossible ? Interrogé par le360, Mehdi Qotbi affirme n’avoir rien à voir avec les délais et que c’est à la RAM d’assumer ses responsabilités. Et d’ajouter : «J’ai accepté d’être président du jury car je trouve l’idée magnifique».
La réponse de Qotbi ne le désengage pas de toute responsabilité. En sa qualité de président de la Fondation nationale des musées, il est supposé élever vers le haut les arts plastiques au Maroc et instituer une culture d’exemplarité. Or, comment ne pas s’étonner de le voir entériner un concours où l’on se moque aussi ouvertement des artistes?
L’autre responsable dans ce dossier est le PDG de la RAM. Le monde des arts attend de lui qu'il rectifie le tir.