Dans les catalogues, livres d’art et autres revues spécialisées, trois tableaux de l’artiste-peintre Fouad Bellamine, datant des années 80, côtoient les nombreuses autres œuvres de l’artiste.
Dans la légende qui les accompagne, il est indiqué «collection du Parlement», à savoir celle de la Chambre des représentants, à Rabat.
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Jusqu’ici, tout va bien. Tout du moins, jusqu’à ce que le Musée Mohammed VI d'art moderne et contemporain de Rabat décide d’organiser la première rétrospective Fouad Bellamine, prévue au printemps 2020.
En concertation avec la direction du musée, il est alors décidé que Abdelaziz Idrissi, directeur du Musée, emprunte trois œuvres majeures de l’artiste qui font partie de la collection du parlement marocain. Que fut grand l’étonnement de celui-ci, mais surtout de l’artiste lui-même, en se voyant répondre: «ces peintures ne se trouvent pas au parlement.»
Branle-bas de combat! Où sont donc passées ses peintures?Pour Fouad Bellamine, ces toiles peintes à Paris, dont l'une date de 1984 et les deux autres de 1985, ne sont pas anodines, d’autant que leur acquéreur de l’époque n’est autre que le défunt roi Hassan II. Ahuri par cette disparition, Bellamine se souvient pourtant parfaitement du jour où il a reçu un chèque personnel du souverain, émis par Bank Al-Maghrib, et portant la signature de «Hassan Ben Mohammed». «Hassan II a fait don à l’Etat marocain de plusieurs peintures, dont les miennes», précise Fouad Bellamine.
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C’est en effet à l’occasion de la rénovation du parlement par André Paccard, architecte et décorateur d’intérieur personnel du roi Hassan II, que ces trois œuvres avaient été acquises. Le souverain avait alors demandé à Paccard de faire l’acquisition d’œuvres d’artistes majeurs marocains, afin d’en orner les murs du parlement, une décision dont se souvient encore parfaitement Mohamed Melehi.
«A l’époque, André Paccard, l’architecte qui s’occupait de la rénovation du parlement avait acquis pas mal d’œuvres d’artistes marocains. C’est lui qui nous a contacté pour acquérir des œuvres et nous a demandé de les installer», se souvient Melehi.
«Lors de l’inauguration officielle, beaucoup d’amis à moi, dont des politiques, m’ont dit qu’ils avaient vu mes œuvres. Quant à moi je n’ai jamais été invité. Quelqu’un m’avait dit à l’époque, si tu veux venir voir tes œuvres, tu me préviens et je te ferai entrer», se souvient Fouad Bellamine, revenu s’installer au Maroc en 1990.
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«Le temps est passé, j’ai toujours pensé que mes œuvres étaient au parlement» explique-t-il. Et de s’indigner: «voici un patrimoine qui est un don de Hassan II, payé de ses propres deniers à l’Etat marocain, qui disparait d’une institution très importante sans que personne ne soit en mesure de dire ce qu'il se passe».
Du côté du parlement, stupeur
Mis au fait de cette disparition par Le360, Habib El Malki, actuel président de la chambre des représentants, nous a fait part de sa grande surprise: «je ne suis absolument pas au courant.» Et d’ajouter: «cette affaire doit remonter à loin, du temps où Osman était à la tête du parlement.»
En effet, à l’époque des faits, Ahmed Osman, fondateur du Rassemblement national des indépendants en 1978, était le président de la Chambre des représentants, de 1984 à 1992.
Existe-t-il dans les archives du parlement un inventaire des œuvres d’art du parlement? Un catalogue peut-être?
Sans doute, à en croire un ancien secrétaire à la chambre des représentants. Celui-ci nous affirme ainsi, sous le couvert de l’anonymat, que «tous les objets faisant partie du patrimoine de la chambre des représentants telles que les œuvres picturales sont répertoriés et soumis à la gestion du secrétaire général et de deux questeurs».
Et d’ajouter, catégorique: «la responsabilité est avérée du secrétariat général du parlement dans le cas de la disparition des trois peintures de Fouad Bellamine».
Mais à l’époque de l’acquisition des tableaux, le secrétaire général de la Chambre des représentants n’était pas nommé par Dahir, comme aujourd’hui. Il s’agissait alors d’un cadre de l’administration qui remplissait la fonction de secrétaire général.
Ce sont donc là les prémisses d’une longue et fastueuse enquête qui s’annonce, car il s’agit désormais de déterminer la date de disparition des œuvres, de croiser cette information avec les noms des personnes ayant occupé le poste de secrétaire général depuis 1986 dans l’espoir d’avoir des éléments d’information et enfin de retrouver un inventaire des œuvres du parlement.
En attendant, ce sont trois œuvres majeures de l’artiste Fouad Bellamine qui ont disparu, et qui manqueront, à moins d’un coup de théâtre, cruellement à sa grande rétrospective.