Le meilleur film marocain de ces dernières années attend d’être distribué au Maroc. Le sera-t-il un jour? Quelqu’un peut-il nous expliquer pourquoi ce bijou est distribué en France et pas (encore) dans son pays?
En tout cas, si vous êtes en France, prenez deux heures de votre temps pour aller voir ce film. Vous ne serez pas déçus…
En 2015, je me suis rendu à Clermont-Ferrand, temple du court métrage international, pour présenter mon premier film, «La Perruque». Deux autres courts marocains faisaient aussi partie de la sélection, dont «Moul lkelb» (l’homme au chien) réalisé par un jeune lauréat de la Femis, Kamal Lazraq. L’histoire d’un marginal qui perd son chien et décide de partir à sa recherche…
Je n’ai pas vu le film, mais à Clermont, on m’en a dit le plus grand bien. Ce mec, m’a-t-on assuré, «il faudra le suivre à la trace».
Kamal Lazraq a poursuivi son «chemin» et, à partir de «L’homme au chien», il a imaginé, cette fois dans le format long, une nouvelle histoire de chien(s), la nourrissant de plusieurs intrigues parallèles et d’un grand travail sur le terrain…
«Les Meutes» est un film noir, comme l’espace-temps, ici la nuit, dans lequel se situe l’action du film, et qui semble sans fin. Nous sommes dans les faubourgs de l’ancienne médina de Casablanca. Un monde fou, clandestin, où l’on survit selon les codes de la rue, qui sont impitoyables. C’est le monde des combines, des micmacs et des trafics en tous genres. Gare à celui qui flanche…
Cette nuit-là, donc, un combat de chiens tourne mal et l’un des parieurs perd son chien. Il décide alors de se venger. C’est là qu’un repris de justice au visage cabossé et son fils entrent dans la danse: les deux hommes, volontaires, mais maladroits, louent une camionnette pour organiser un kidnapping. Lequel tourne mal…
Bonjour (ou plutôt bonsoir) les dégâts. Comme dans la pure tradition du film noir américain à l’ancienne, les figures de style et les codes se multiplient, entre la nuit glauque, la malchance phénoménale, les imbroglios et les rencontres impromptues, les catastrophes à la pelle, l’humour très noir…
Sauf que l’on n’est pas dans les bas-fonds de New York, mais à Casablanca. Et la force du film, c’est qu’il fait dans le vrai. Du casting sauvage aux dialogues au coin des rues mal famées, tout est juste, tout sonne vrai, crédible. Tout est Marocain, Casablancais.
Puissant, juste, le premier long métrage de Kamal Lazraq mérite un triomphe en salles. Et au Maroc, s’il vous plaît.
Ce film est à la fois une urgence et une évidence. Plus qu’une histoire de violence, «Les Meutes» a des accents de poésie urbaine, un air de blues et de jazz.
Bien sûr, les cinéphiles verront des clins d’oeil ou des emprunts par-ci et là, on peut parfois penser aux frères Coen («Fargo») et surtout à Sam Peckinpah (l’extraordinaire «Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia»), voire à Norman Mailer («Les vrais durs ne dansent pas», le livre et le film). On peut penser aussi à Pasolini et à ses premiers films (un peu de «Mamma Roma», beaucoup d’«Accatone»), qui filmaient les mêmes gueules cassées, les mêmes beautés sauvages, les mêmes faubourgs suffocants évoluant à la marge des grandes cités.
Côté marocain, on peut imaginer un fil invisible qui relie ce film à «Sur la planche» de Leila Kilani, pour l’état d’esprit, le casting et certains partis-pris esthétiques.
«Les Meutes» tient ses promesses et soutient toutes ces lourdes références. Ce qui n’est pas une mince affaire.
Et si l’intrigue principale, qui sert de fil conducteur, est mince, les ressorts psychologiques et dramatiques sont d’une grande richesse. Comme lorsque le personnage principal se laisse convaincre de la nécessité de «plaire à Dieu» en lavant le cadavre qu’il trimballe en voiture…
Avec des acteurs magnifiques, pour la plupart non professionnels (et quelques pros géniaux, dont le méconnu Abdellah Lebkiri), et un travail sur la photo absolument remarquable, Kamal Lazraq a réalisé un vrai bijou de cinéma. Un film qui place la barre bien haut…
Bref, si l’occasion se présente, ne ratez surtout pas cette oeuvre puissante, qui porte en elle beaucoup d’amour pour le cinéma et pour le «bled».