Deborah Nemtanu est, depuis 2005, violoniste solo de l’Orchestre de chambre de Paris. Sa longue carrière lui a fait découvrir des contrées lointaines et des personnes à chaque fois différentes. À Essaouira, elle s’est produite deux fois dans le cadre du festival le Printemps musical des alizés, créé il y a 20 ans par l’association Essaouira Mogador, et accompagnée cette année à l’organisation par la Fondation Ténor pour la culture, dirigée par la pianiste Dina Bensaïd.
Vous êtes vous déjà produite, par le passé, dans ce festival. Quel est votre sentiment après votre concert à Dar Souiri?
En effet, c’est ma deuxième fois. J’étais venue ici en 2018, juste avant l’interruption du festival, et j’avais gardé un souvenir incroyable, très lumineux du public, des gens, de l’orchestre, de l’écoute et de la ville en général. Lorsque Dina Bensaïd m’a réinvitée cette année, j’étais ravie de revenir. Je savais qu’il y a eu une interruption du festival, mais je ne savais pas que c’était en fait une renaissance, cinq ans après. Donc, je suis très contente d’être revenue. J’ai bénéficié du même accueil et de la même écoute. C’était absolument fabuleux.
La musique classique en général et la musique de chambre en particulier nécessite une écoute attentive. Ne pensez-vous pas qu’au fil des ans, cette capacité est en train de se perdre dans le monde actuel, où règne une profusion d’images et de sons?
Les formes de concert essaient de se moderniser, on essaie de parler un peu plus au public. Ce que je fais aussi beaucoup, parce que je trouve dommage que l’artiste soit mis sur un piédestal sur scène… J’essaie de changer la donne pour que le public ne se sente pas exclu et qu’il fasse preuve d’une écoute active. C’est pour cette raison qu’on prend plaisir à expliquer l’œuvre qu’on joue par exemple, livrer des clés d’écoute pour que le public soit guidé. J’ai trouvé personnellement le public d’Essaouira extrêmement attentif.
«Cela fait du bien aux gens d’écouter réellement une œuvre dans son entièreté et de s’évader enfin, sans que leur attention ne soit sollicitée par autre chose.»
— Deborah Nemtanu, violoniste française.
Comme vous le dites, avec la multiplication des écrans, les réseaux sociaux, il y a beaucoup de choses qui font que l’on a tendance à zapper toute le temps. Donc justement, je trouve que cela fait du bien aux gens de se poser, d’écouter réellement une œuvre dans son entièreté et de s’évader enfin sans que leur attention ne soit sollicitée par autre chose.
Il faut savoir aussi que dans un public, il y a tout un panel de la société, et certaines personnes ne peuvent accrocher que s’ils reconnaissent un thème. Il y a donc un équilibre à trouver entre des pièces que tout le monde connaît et des découvertes. Il est essentiel aussi de ne pas infantiliser le public.
Mis à part cette démarche qui est de parler aux spectateurs, quelles sont les autres actions à mettre en place pour favoriser l’écoute active?
Moi qui suis musicienne, lorsque j’écoute une œuvre que je ne connais pas, la première écoute est toujours difficile. C’est pour cela que j’incite les gens qui vont aux concerts à écouter l’œuvre au moins une fois avant. Il est génial de découvrir, mais c’est important d’instruire l’oreille. Il est vrai qu’en France, par exemple, cela relève aussi d’une volonté politique. Nous, artistes, pouvons inciter les autorités et le gouvernement à lancer des actions dans ce sens, et le plus tôt c’est fait, mieux c’est.
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Au sein de l’Orchestre de chambre de Paris, dont je fais partie, on va jouer dans des crèches. Donc on joue pour des bébés, et on voit leur innocence et leur écoute. C’est merveilleux. Il faut être habitué très jeune à écouter de la musique. J’incite tous les parents de jeunes enfants à leur mettre de la musique, même si on ne leur dit pas «vous voyez, ça, c’est la symphonie de Schubert n°5...». Peu importe que ce soit du Schubert, du Brahms ou du Mozart, ils doivent entendre de la musique classique, même dans le ventre de leur mère.
Vous êtes violon solo depuis 2005 au sein de l’Orchestre de musique de chambre de Paris. Comment voyez-vous l’évolution de votre carrière?
Cela fait effectivement presque 20 ans que je suis violon solo de l’Orchestre de chambre de Paris et j’aime énormément mon travail. Déjà, ce n’est plus le même orchestre aujourd’hui. Un orchestre, c’est vivant. Les gens changent, les chefs changent, les répertoires changent. Ce n’est pas figé. Moi, j’adore, car j’aime construire et voir cette évolution. C’est comme voir grandir un enfant. Là, nous allons partir pendant 15 jours en Chine puis en Corée, deux pays où je n’ai jamais voyagé.
À côté, je suis de temps à autre invitée par d’autres orchestres, et j’aime beaucoup apporter mon expérience, voir d’autres choses. Mais j’aime retrouver mon orchestre, car c’est ma famille, ma maison. La qualité humaine est pour moi une priorité dans le travail.







