Écrivant en français, je savais que je n’écrivais pas en français. Il y avait cette singulière greffe d’une langue sur l’autre, ma langue maternelle l’arabe, ce feu intérieur.
Edmond Amran el-Maleh
Edmond Amran El Maleh s’en est allé il y a quatre ans, le 15 novembre 2010. Et le Maroc perdait un grand homme. Un homme qui s’est fait le portefaix de ses multiples racines, à travers des écrits qui vous empoignent de leur force poétique, vous aveuglent de ces éclats de lumière que seule la grande poésie sait faire jaillir, contre la cécité, pour vous ramener de vos amnésies en vous rendant tangibles les mondes oubliés, les cris refoulés, les amours reniées. Mondes, cris, amours tressés dans ces racines mêmes dont il sera le porte-voix, à la fois le porte-douleur et le porte-joie dans l’excavation des mémoires d’exil et la célébration de sa culture plurielle. Des mémoires d’exil forcé dont il portera toute sa vie la souffrance, mémoires qui fusent pour crever, comme autant de brisures, l’espace palimpseste des pages charriant désormais cinglants souvenirs, déchirants, de l’insheqaq, du départ des juifs marocains. Ou, plutôt, des Marocains juifs. Car c’est ainsi que se définissait Edmond Amran El Maleh, cet écrivain qui aura marqué l’histoire de son pays en donnant à la lettre ses lettres de noblesse. Marocain juif, berbère, arabe, habité par les langues vernaculaires et leur rythme et leurs lumières qu’il rendait dans une langue française déterritorialisée pour se laisser abreuver aux tanins d’autres caïeux. Les siens, ancrés dans cette terre du Maroc qu’il ne cessera d’interpeller, dans toutes ses contradictions et à la fois cette symbiose vers laquelle lui tendait, qui en était le symbole parfait. Et nul ne savait mieux que lui rendre les battements, les couleurs, les ombres, les soleils de cette terre.
Dans mon pays il y a des hommes qui parcourent les espaces de jour de nuit le même pas les conduit à la rencontre d'eux-mêmes voyez-les se découper immuables sous les cieux changeants chevelure crinière ample djellaba ou tchamir de bouts d'étoffe rapiécés un couffin un bâton le visage de l'énigme ils marchent avec la régularité d'un astre ils ont aboli les routes les cars les trains les autos les lieux de naissance les routes familières détruit la prison d'un nom on les appelle Hadaoua mais cela ne veut rien dire de leur pas sans empreinte ils gomment les plis de l'événement … (Parcours immobile)
Né à Safi en 1917, Edmond Amran El Maleh s'est éteint le 15 novembre 2010. Il repose à Essaouira. Et sa vie et ses mots continuent de vibrer en nous. Sa vie de défenseur des causes justes. Sa vie de combattant pour l’indépendance du Maroc. Sa vie d’exilé après les manifestations de Casablanca, en 1965. Sa vie de grand défenseur de la Palestine et d’antisioniste acharné. Sa vie portée par des mots en nous indélébiles.




