Exclusivité-Le360. Ep22. Les bonnes feuilles de «Meg Broncovitch», un récit de Mustapha Kebir Ammi

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Mustapha Kebir Ammi nous offre un texte inédit, «Meg Broncovitch», dont nous vous proposerons, chaque semaine, un extrait. Un texte lié à l'actualité et plein de rebondissements. Du narrateur, l'auteur dit qu'il lui ressemble «comme un double» dans ce récit qui, ajoute-t-il, «évoque des problématiques importantes», servies par une plume délicieuse.

Le 04/06/2022 à 12h11

Ma pauvre mère était jeune et nous étions en bas âge, mes frères et moi, à la mort de notre père. Elle nous avait élevés courageusement, et dignement surtout. Nous avions appris à nous contenter de peu et à remercier le sort. Nous n’avions ni le désir de déposséder quiconque ni de faire la guerre à personne. Nous vivions en paix. S’il est une religion dans laquelle nous avions été élevés, c’est celle qui tient les hommes, tous les hommes, et pas seulement Dieu, pour une créature sacrée.

J’ai brûlé, au cours de mes jeunes années, du désir d’écrire et de voyager. J’avais réuni un peu d’argent et j’étais parti un jour de chez moi. Vous le savez, j’avais mis la barre très haut, je voulais, dans un coin secret de ma tête, me lancer à la conquête du monde. J’étais arrivé à Londres. Je disais pour rire à Senior Alves que la capitale anglaise s’était mise en quatre pour m’accueillir, elle semblait n’avoir vécu que pour cet instant inespéré.

Meg Broncovitch croyait que tout cela, écrire et voyager, était motivé par le désir de briller sur les planches de la gloire pour me venger d’une vie de privations. J’avais simplement essayé de donner du sens à ma vie.

Je venais de comprendre ce que j’avais refusé de voir.

Je me sentais impuissant et honteux. J'avais envie de pleurer, je me sentais coupable. Je pensais à mon pays et aux miens. Comment avais-je pu me laisser abuser ainsi?

C’est à cette femme que Senior Alves avait proposé d’annoter son journal si elle le voulait. Et cette femme qu’il tardait à Mrs Jenkins de la considérer comme sa propre fille. Je les avais surprises, une fois, en train de prendre le thé, dans ce même salon où j’étais arrivé un jour, il y a longtemps. Je suis peut-être de trop, leur avais-je dit. Je me réjouissais de les voir unies par une si grande complicité.

J’ai vécu une semaine de rêve aux cotés de cette femme, pardonnez-moi si je me répète. Puis elle me quitta brusquement, ayant appris que Bradley était sorti de prison, et ne pensa plus qu’à quitter à tout prix l’Angleterre. Nick devint fou. Il brisa la glace au-dessus de la cheminée et une statuette sur la table de chevet.

- Je ne peux pas rester, sanglota Meg Broncovitch, ma vie est en jeu.

Il connaissait l’avocat qui avait obtenu la libération du dénommé Bradley. Puis Bradley fut mis à mort, dans un règlement de compte interne. Elle joua les veuves éplorées et se rendit à Vienne pour se glisser aussitôt dans le lit d’un homme illustre, qui avait collaboré avec les nazis: elle obtint de lui de l’argent et de vrais faux papiers.

Elle revint à Londres. Nick avait accepté de défendre ses amis qui croupissaient dans les geôles anglaises. Le bras levé, comme un sabre, il jurait qu’il serait le plus loyal serviteur de l’Etat à venir. Il irait dans toutes les villes anglaises, pour recruter les sans grades et les laissés pour compte. Nick n’était plus l’homme que nous avions tous connu. Il ne supportait plus la présence de Laura. Il se demandait comment il avait pu vivre aux côtés d’une mécréante!

Il avait ensuite voulu se reprendre, mais il était trop tard, il avait plongé dans un abîme semblable à l’enfer, il ne pouvait plus sauver son âme.

Il se mit à hurler que la religion de Meg Broncovitch devrait être abolie.

Elle entra dans une colère noire. Je ne peux pas vivre avec un mécréant! Il se traîna à ses pieds, il avait compris ce que cela signifiait, elle n’avait pas besoin d’en dire plus, il était prêt à tout.

Je serai un guerrier exemplaire et loyal, en toute heure et tout lieu!

Elle lui donna l’ordre de piller ses propres collections d’art. Il s’exécuta, revint et lui sauta au cou. Mais il n’avait pas de forces, il desserra son étreinte et s’écroula par terre en sanglotant.

Peu de temps après, Laura le prit en flagrant délit au Grosvenor Hotel -Miss Bridgewater lui avait révélé par le menu tout ce qu’elle savait- et quitta Holland Park pour se réfugier chez Mrs Jenkins.

Il essaya de remonter la pente.

-Ta religion haineuse est tout sauf une religion, Meg Broncovitch, et tu n’es, toi, qu’une petite crotte sur la route de l’humanité!

-Tu vas voir, Nick, si je ne suis qu’une petite crotte sur le chemin de l’humanité!

Elle expédia, sur le champ, des hommes à Pembridge Square. Mrs Jenkins recevait Senior Alves à dîner. Les tueurs ne laissèrent aucune chance à mes amis. Ils supplicièrent également Gladys, la jeune servante. Laura était cloîtrée dans sa chambre sous les combles, elle ne se rendit compte de rien.

C’est Simpson qui m’a alerté, je n’ai pas reconnu sa voix, il était abattu, il n’a pas eu la force de m’annoncer que mes amis avaient péri dans un abominable carnage. J’ai manqué de peu le direct, j’avais pourtant tout bien calculé. J’avais pris mes dispositions et marché d’un bon pas, si je puis dire. Ma canne avait été exemplaire. Elle n’avait pas, une seule fois, manqué à son devoir. Il y a des trous et des crevasses, par là où je vis, elle savait bien tout cela, je n’avais même pas besoin de la guider. Mais, voilà, vous êtes à deux pas de la gare et vous voyez le train qui vous passe sous le nez! Je n’ai pas hurlé, comme le diable qu’on égorge, mais j’ai bien failli le faire. J’ai levé les bras. J’allais encore me retrouver les quatre fers en l’air. Trois jeunes gens se sont arrêtés pour me regarder, ils étaient désemparés. Je les avais déjà croisés, ils avaient de bonnes bouilles, malgré leur allure un peu canaille. Je voulais leur dire que tout allait bien. Mais j’étais d’une humeur massacrante, j’en avais après la terre entière, je voulais tout envoyer valdinguer.

Après les obsèques de mes amis, Simpson a été transporté de toute urgence à l’hôpital, pour ce qu’on craignait être les signes d’un infarctus. Je pus le voir. Mais cette fois, on ne pouvait rien pour lui. Le professeur qui l’avait pris en charge m’indiqua que mon ami aurait, au mieux, et très bientôt, une vie végétative. Je n’acceptai pas ce verdict. Je refusai de voir le bon vieux Simpson finir comme ça, cloué sur un lit.

Il rendit l’âme peu de temps après.

Par Le360
Le 04/06/2022 à 12h11