Pour Hicham Lasri, «l’espace est toujours beaucoup plus fort que les personnages, parce qu’il conditionne quelque chose», notamment leurs paroles et leurs comportements. Cette conviction de cet artiste touche-à-tout, féru de cinéma et de littérature et adepte du huis clos théâtral, est transmise plus que jamais dans sa nouvelle pièce intitulée «Arab Lives Matter». Pour s’en sortir, ses quatre personnages, coincés dans un hall d’immeuble sont obligés, à contrecœur, de communiquer entre eux pour calmer leurs peurs et leurs angoisses. Le360 vous convie à découvrir les bonnes feuilles de cette pièce de théâtre où l’esprit «lasrien» est à son apogée.
Tableau 3
Au même moment. Le grésillement se fait à nouveau entendre.
La porte s’ouvre… Une silhouette féminine se découpe dans l’encadrement de la porte… Le brouhaha de la rue
Saint-Georges envahit le hall et couvre les gémissements d’Ali.
Voix off
(Au mégaphone)
C’est Elsa, une jeune femme nerveuse, mélange de stress et de manque de nicotine. Elle ne sourit plus beaucoup, d’un côté parce que son compagnon s’est dissous dans la nature lors de leur dernier voyage en couple, mais aussi parce qu’elle a honte de ses dents jaunies par la cigarette.
Elsa ne sourit plus.
Ali pense qu’elle est antipathique.
Comme Ali est de mauvais poil, il la juge immédiatement raciste.
Elsa fait un pas et la lumière s’allume sous l’effet du détecteur de mouvement.
Elsa trébuche sur Ali qui pousse un hurlement. Ali porte un haut blanc avec l’inscription Arab Lives Matter. Elsa se retrouve à terre, étalée dans les outils de maçon et la poussière.
Ali
Regardez où vous mettez le pied…
(Montre l’inscription sur son t-shirt)
Il y a un Arabe par terre !
Elsa
Je suis désolée… Vous faites quoi par terre ?
Ali
Je ne sais pas… J’ai trébuché dans l’obscurité… Le morveux de la B12 a désactivé le détecteur de mouvement et la lumière ne s’est pas allumée… Ça fait trois semaines que cette blague a débuté… Chaque jour, la lumière se déclenche un peu plus tard que la veille…
Il n’y a que le morveux du B12 qui fait ce genre de connerie…
Elsa se redresse. Elle tapote ses seins, ses fesses, son bas-ventre, ses mollets. Un nuage de poussière accompagne les deux pas qu’elle fait sur la gauche pour s’écarter d’Ali.
Ali reste par terre.
Il la regarde…
Elle le regarde.
La lumière s’éteint quelques secondes.
Ali
Vous avez vu ?
On entend le frottement d’Elsa dans le noir.
Elsa
Moi c’est Elsa, votre voisine !
Ali
Votre parfum vous a trahie !
Elsa
Personne ne m’a trahie, sauf mon corps et mon compagnon !
La lumière revient. On découvre Elsa battant des bras
comme si elle cherchait à s’envoler.
Elsa
Le détecteur de mouvement fonctionne !
Elle grimace en découvrant son bas filé.
Ali
Le détecteur de mouvement fonctionne !?
Elsa
(Touchant son bas)
Oui, il fonctionne !
Ali
(Horrifié)
Le détecteur de mouvement fonctionne !