Dans la catégorie des rebelles au confinement, on croise plusieurs profils. Il y a ces pères de famille qui voient dans le confinement avec leur femme et leurs gosses un enfer au quotidien. Habitués qu’ils sont aux virées entre potes, aux apéros qui se transforment en after et à une vie en solo sans rendre de comptes à leur femme, parce qu’un homme, ça n’a pas besoin de se justifier…
Pour ceux-là, le confinement, c’est une prison à domicile, et le virus, un fichu bracelet électronique qu’on leur a collé au pied pour les empêcher de poursuivre leur quête éperdue d’une jeunesse insouciante, mais qui leur échappe pourtant sans cesse.
Autres grands rebelles au confinement, nos parents, qui bien qu’ayant atteint l’âge de la sagesse, ont bien du mal à se faire à l’idée d’être enfermés et de se voir privés de liberté.
Bien sûr, il y a l’isolement qui leur est infligé, source d’angoisse pour eux mais aussi pour nous, leurs enfants, qui devons aussi faire face à cet horrible sentiment de culpabilité qui nous tenaille. Du coup, on s’en prend plein la tronche, souvent, de la part de nos géniteurs qui voient dans nos précautions de distanciation de l’égoïsme, la mort des liens familiaux, l’avènement du modèle de société occidental où l’on tourne le dos aux vieux, et donc la fin de notre société basée sur le respect et l’amour des aïeux…
Dans une société où on ne contredit pas ses parents sous peine de se prendre un lancer de sandale en pleine poire, où la famille, c’est sacré, au point qu’on fasse passer ses parents avant tout, où même à 50 ans on se cache d’eux pour s’en griller une et qu’on va même jusqu’à critiquer ceux qui boivent de l’alcool pour ne pas qu’ils soupçonnent qu’on est un buveur invétéré, ce confinement est loin d’être évident.
Comment faire, nous, adultes, qui n’assumons pas notre indépendance de vivre et de penser, pour inverser les rôles et dicter à nos parents leur conduite, quitte à les froisser? Sacré challenge.
On se retrouve à brailler pour la première fois sur ce père, pourtant craint toute notre vie durant, pour lui dire pour la dixième fois de la journée que porter ce fichu masque ne veut pas dire qu’il est pestiféré, que se laver les mains plusieurs fois par jour ne veut pas dire qu’il était sale avant, que ne pas serrer la main aux gens n’est pas une insulte, que si Monsieur l’agent lui dit de rentrer chez lui parce qu’il n’a rien à faire dehors ce n’est pas une oppression du pouvoir et que si la fille de sa voisine est passée voir sa mère, ça ne fait pas d’elle une merdiyat el walidine plus qu’une autre, que toute cette histoire de coronavirus n’est pas un complot pour tuer les vieux et économiser l’argent des retraites (oui, nos parents aussi sont très friands de théories du complot) et que non, on ne doit pas faire abstraction des mesures de sécurité au prétexte qu’on mourra si Dieu le veut…
Ajoutez à tout cela que chez nous, on a le sens du drame. Combien de nos chères mamans mais aussi de nos pères, si durs et autoritaires en apparence, pourraient remporter la palme de la «drama queen»…
A vrai dire, si l’on doit y regarder de plus près, ce virus nous pousse dans nos retranchements au point de nous mettre face à bien des réalités. Celles de nos fragilités, de nos défaillances et de nos incohérences. Et cela s’applique tant à la société dans sa globalité qu’à titre individuel.
Confinés chez nous, mais surtout confinés avec nous-mêmes, impossible de fuir la réalité comme on a l’habitude de le faire, ni de se mentir à soi-même. On teste peut-être pour la première fois la solidité de son couple, les liens qu’on entretient avec ses enfants, avec ses parents… Ce qui était immuable hier est devenu changeant, incertain mais in fine, pour notre bien.
Cette épreuve que le monde entier affronte simultanément est donc extraordinaire à bien des égards. Car une chose est sûre, nous en ressortirons grandis, assagis et résolument plus transparents dans nos rapports humains.