Le mois de la piété et de l’élévation spirituelle, c’est ainsi que l’on qualifie le mois sacré du ramadan. Un mois au cours duquel le croyant se rapproche de son créateur, se purifie tant physiquement que mentalement, et s’emplit de compassion et d’amour pour son prochain.
Mais ça, c’est en théorie, car dans la pratique, on en est loin. Passons sur les valeurs de tolérance et de bienveillance qui sont censées faire partie du package de base et qui sont bien vite reléguées aux oubliettes dès lors qu’il s’agit de rouler à Casablanca, se mêler des affaires des autres –surtout ceux qui choisissent de ne pas jeûner– et de porter des jugements à l’emporte-pièce.
«Sayem?», «Sayma?», «Tire la langue!», s’entend-on demander dès le plus jeune âge, par des camarades de classe en mal de compétition et qui déjà, ont noué des liens forts avec l’intolérance à la différence. Devenus adultes, ça continue encore. On ne doit plus prouver par une langue bien blanche et pâteuse qu’on jeûne, mais le jugement lui est toujours là, bien présent, bien pesant. On le ressent en tant que parent dé-jeûneur qui ne s’assume pas quand on fait promettre à nos gamins de ne dire à personne qu’on ne fait pas ramadan. Au McDrive quand on préfère acheter un happy meal –alors qu’on n’a pas d’enfants– pour brouiller les pistes. Au supermarché, quand tout le monde scrute le caddie de tout le monde pour connaître en détail son menu du soir… Cette intrusion est encore plus pesante quand on est une femme, car pour peu qu’on ait l’honnêteté de dire qu’on ne jeûne pas, on voit littéralement s’écrire mentalement et en lettres capitales dans l’esprit de l’autre, «donc tu as tes règles?».
Et autant dire que la digitalisation et la communication à tout va n’arrangent rien à cette situation. Car à l’ère du «je poste donc j’existe», la foi devient tendance et s’étale sur Facebook, Insta et Tiktok, où il convient d’afficher la «ramadan attitude». Sourates et versets du Coran défilent sur notre fil d’actualité pour montrer à nos «amis» qu’on est de vrais croyants, les anciens potes d’apéros se transforment en prêcheurs 2.0 le temps d’être pardonnés pour leurs «péchés mignons», les jellabas sortent du placard parce que mode beldia rime apparemment avec spiritualité…
Enfin, cerise sur le gâteau ou plutôt chebbakia dans la harira –pour ceux qui connaissent–les influenceuses se transforment en clones de Choumicha et adoptent à l’unisson la tendance (mensongère) du zéro make-up ramadanesque, pour montrer que oui on peut faire une harira, rouler des nems et préparer son sellou sans gluten fait maison tout en conservant un teint naturel glowy, des lèvres pulpy, un style preppy et tout ça en ayant la foi… Chic, pratiquante et hadga, le must.
Et puis, dans ce tourbillon d’apparences, il y a les vrais croyants, ceux que l’on ne voit pas et que l’on n’entend pas. Ceux qui font prendre tout son sens à ce mois sacré et pour qui jeûner en ce mois d’avril n’empêche pas de souhaiter de joyeuses pâques et des bonnes fêtes de Pessah à leurs concitoyens chrétiens et juifs. Leur foi leur appartient, nul besoin pour eux de l’étaler aux yeux de tous et encore moins de prétendre contraindre les autres à faire comme eux. Un modèle inspirant qui pour peu qu’on ne jeûne pas pour x ou y raison, nous donne assurément envie de sauter le pas… Car quel plus bel exemple de respect, d’humilité et de sagesse.