«Al 3alam kay mout ou nta kat karkar»… Cette phrase, lancée par une femme caïd à un résistant au confinement nous avait fait sourire il y a quelques semaines mais aujourd’hui, elle n’a presque plus aucun sens.
Les scènes de rue où la foule se presse, à moitié masquée, deviennent de plus en plus courantes. On fait ses courses, on papote, on se bouscule, on marchande… La vie d’avant reprend le dessus et avec elle toutes ces petites habitudes qui avaient bien du mal à rester confinées. La nature a décidément horreur du vide…
«Ils veulent nous tuer! Je n’ai pas quoi de manger, si je ne sors pas travailler, je fais comment?», lance cet homme du haut de sa charrette à ce vieil homme masqué qui tente de lui faire la morale. Puis n’arrivant pas à se mettre d’accord avec son interlocuteur, l’homme à la charrette tranche: «de toute façon, tout est entre les mains de Dieu». Echec et mat, impossible de surenchérir, le vieil homme se tait, acquiesce, ajuste son masque et regagne le confort de son confinement.
Dans les beaux quartiers aussi, la tendance est au lâcher prise et sur la plage, les riverains se baladent, promènent leurs chiens, piquent une tête rapidement, puis courent ramasser leur serviette comme des fugitifs sous les sifflements des policiers.
Face à cette population qui se déconfine avant l’heure, beaucoup d’entre nous ont tôt fait d’y voir les conséquences directes de l’ignorance et de l’incivisme, au point d’appeler à un déconfinement progressif du pays en maintenant dans l’isolement les clusters et les quartiers réfractaires. Autrement dit, les zones industrielles et les quartiers populaires. Quelle ironie... Il y a quelques semaines, lorsqu’une internaute avait évoqué cette même idée sur les réseaux sociaux en décrétant qu’il fallait déconfiner Anfa Sup, le CIL et les beaux quartiers avoisinants mais garder en confinement les quartiers populaires réfractaires… Ses propos avaient choqué beaucoup de monde. Aujourd’hui, cette idée, aussi monstrueuse soit-elle, devient la norme.
Finis la compassion, la solidarité et l’élan national qui nous avait fait pousser des ailes il y a quelques semaines. Face à la crise économique qui s’annonce et les difficultés financières qui s’installent déjà confortablement dans chaque foyer, on en oublie la nécessité de rester groupés et soudés. Et pour mieux faire passer la pilule de cet élan d’égoïsme animé par la panique, on invoque Dieu tout puissant. Au diable, les règles de sécurité!
A mesure que les choses se corsent, l’élan de solidarité et de patriotisme qui a uni le Maroc depuis le début de la pandémie montre des signes d’essoufflement et déjà, on tend à oublier ce qu’on saluait hier: notre gestion hors pair de la crise sanitaire, notre production de masques, leur commercialisation à prix imbattable, le dévouement des personnels soignants, l’efficacité des agents d’autorité, l’adoption au bon moment des bons protocoles de soin, l’élan de solidarité dont ont fait preuve plusieurs acteurs économiques… Bref, un scenario digne d’un beau film hollywoodien avec assurément un happy end.
Et après tout, pourquoi ne pas y croire encore? Tout est encore possible, si Dieu le veut, bien sûr, mais à condition aussi de se donner les moyens d’y arriver, tous ensemble, et non pas les uns contre les autres. Car s’il y a une chose avec laquelle il est temps d’en finir, c’est ce Maroc à plusieurs vitesses qui profite aux uns, et laisse les autres sur le carreau.