La gestion du Covid-19 au Maroc n’est plus ce qu’elle était. Les cas de contamination vont crescendo et la gestion naguère quasi irréprochable de la pandémie suscite aujourd’hui critiques et interrogations. A qui la faute? La population indisciplinée et réfractaire aux mesures de sécurité est-elle la seule à blâmer? Pas vraiment. Un petit tour dans le circuit hospitalier permet de se rendre compte d’une réalité effrayante qui explique en partie la recrudescence des cas de Covid.
Celles et ceux qui parmi nous ont fait l’expérience d’une contamination directe ou dans leur entourage proche le savent. Les procédures de dépistage varient désormais d’une ville à l’autre, d’un centre de santé à un autre, voire d’un médecin à un autre, d’autant plus quand la personne en question est asymptomatique.
Le parcours d’un cas contact s’apparente alors à un jour sans fin à la mouqataâ, jalonné d’allées et venues à la recherche d’informations, de médicaments et de directives concrètes à suivre.
Pour ceux qui ont les moyens de débourser la somme de 700 dirhams pour un test PCR ou de 900 dirhams pour un test sérologique dans un laboratoire privé, tout va bien madame la Marquise. En moins de 48 heures, on est fixé sur son cas. Mais ce privilège est loin d’être accessible à tout le monde.
Pour les autres, il reste les tests gratuits censés être disponibles dans les centres de santé et les hôpitaux. Mais c’est là que le bât blesse… Tout le monde ne pourra pas se faire tester. Car désormais, pour peu que l’on soit un cas contact, on se voit rétorquer qu’on n’a plus accès aux tests, d’autant moins qu’on est asymptomatique.
«Mais pourquoi voulez-vous vous faire tester si vous n’avez pas de symptômes?» demande ainsi ce médecin dans un centre de santé où s’est rendue de son propre chef une maman dont le mari est contaminé. «J’ai peur pour mon enfant, pour mes parents, pour moi. Il faut que je me fasse tester!», lui répond alors cette potentielle porteuse du virus. Mais malgré son insistance, celle-ci essuie à nouveau un refus du médecin qui va même jusqu’à lui rétorquer: «mais vous savez Lalla, même moi je ne me suis pas fait tester alors même que j’ai eu quelques symptômes. Mais c’est passé, comme une petite grippe. Pas de quoi s’inquiéter».
Bon, mais que faire alors? Continuer de vivre comme si de rien n’était? Prendre des médicaments en prévention? Attendre que des symptômes se déclenchent pour être pris au sérieux? Et comment se confiner chez soi, chacun dans une chambre, quand on ne vit pas dans un palace?
«Ecoutez madame, il y a deux solutions pour un cas contact tel que vous. Soit vous êtes négative et donc tout va bien, soit vous êtes positive, mais asymptomatique et dans ce cas là, prenez de la vitamine C et du Doliprane en cas de mal de tête ou de fièvre et de l’Azix en prévention».
Et un test pour être sûr et éviter de perdre du temps, non?
«Franchement, je ne vous le conseille pas. Confinez-vous pendant deux semaines et tout ira bien», conclut le médecin à la limite de l’irritation.
Pour peu que vous soyez du genre à ne pas lâcher l’affaire, vous obtiendrez une ordonnance pour vous faire dépister dans un centre public. Mais là non plus, vous ne serez pas au bout de vos peines. Première surprise, cette foule qui se presse contre les portes dès la première heure de la journée. Pas de queue, pas de file organisée, un port du masque aléatoire… Autant de personnes toutes potentiellement contaminées qui attendent leur tour en mode collé-serré. La scène est surréaliste.
Une fois à l’intérieur, il faut alors justifier l’objet de votre venue. Cas contact asymptomatique? Passez votre chemin, on ne vous teste plus. Mais que faire alors? Prendre des médicaments en prévention comme le recommandait cet autre médecin? «Absolument pas! Un cas contact asymptomatique ne doit pas prendre de médicaments, c’est inutile», vous verrez-vous alors rétorquer. Mais qui croire à la fin?
Pour vous faire tester, vous pourrez toujours essayer la petite larme à l’œil pour attendrir votre interlocuteur et bénéficier de ce sacro-saint test. Mais une fois celui-ci effectué, on ne souffle pas pour autant. Car si les laboratoires privés vous communiquent vos résultats par écrit, de manière officielle, le secteur public ne s’encombre pas d’autant de manières.
On prendra votre numéro de téléphone, votre numéro de carte nationale et votre adresse. Point barre. «Si vous êtes positif, on vous appellera», se voit-on annoncer. Ah d’accord, mais dans combien de temps? «Entre deux et cinq jours environ. Ça dépend», obtiendra-t-on pour toute réponse.
Au bout de trois jours d’attente interminables, n’y tenant plus, vous décidez d’y retourner pour en avoir le cœur net. «On ne vous a pas appelé? Donc vous allez bien, rentrez chez vous! Vous voulez quoi? Un papier avec les résultats, comme au laboratoire? Mais vous avez cru qu’on avait une imprimante, du papier et du temps pour faire ça pour tout le monde ? Vous rigolez?», ironise l’un des membres du staff.
Face à votre désarroi de cas contact asymptomatique qui ne supporte plus de vivre dans le doute, et qui en bon angoissé arrivé au summum de la paranoïa se demande si son numéro de téléphone a bien été noté, si par hasard il n’a pas été égaré et qui se demande même si son test a bien été analysé… un chargé de sécurité vous rassure alors, tant bien que mal. «Si vous étiez positif, ils seraient déjà venus vous chercher chez vous pour vous emmener à Benslimane. C’est ça que vous cherchez? Non? Bon, alors estimez-vous heureux et rentrez chez vous. A votre place, sans symptômes, je n’aurais même pas pris le risque de me faire tester».
Bon, vu comme ça…