Vous admettrez que je me la pète, et si ce n’est pas le cas, que vous ne l’admettiez décidément pas, tant pis pour vous, vous allez souffrir, car voici un gros, un énorme, flash-back.
Mouna, 3 ou 4 ans.
Eh oui, comme tous les humains vivant sur cette planète, figurez-vous que j’eus, à une période de ma vie, 3 ou 4 années seulement.
Je fus une enfant terrible. Turbulente, et vilaine, et je faisais (déjà) de grosses bêtises.
Mais j’étais douce, aussi, comme en pourrait en témoigner mon doudou en chef de l’époque: une couverture aux carreaux écossais orange.
Mon intense plaisir d’enfant était, en sus de sucer mes doigts, lors de mes périodes d’accalmie, après avoir bien couru et dûment effectué mon lot de bêtises, d’arracher les poils de ma couverture. Avec ces fils cotonneux, so fluffy, je me caressais ensuite, de préférence au-dessus de mes lèvres, dans un incroyable exercice acrobatique mêlant intense suçage de mes doigts, et douce langueur des caresses des poils orange arrachés.
Mais Mouna, rends-toi compte d’un truc, presque quatre décennies plus tard (j’arrondis large): cette intense (et si douce) activité enfantine fut éminemment prémonitoire.
L’arrachage (symbolique) de poils, certes brutal, mais aussi effectué en toute douceur, est ton exercice préféré d’aujourd’hui.
Genèse.
Au commencement, durant ton enfance, fut la moustache. Une touffe de poils au-dessus de la lèvre supérieure d’une bonne partie des mâles de ton pays.
Le signe d’une virilité certaine. Celui d’une masculinité affirmée.
Moustache du policier, moustache du fonctionnaire, moustache de l’épicier, moustache du guichetier, moustache chez certains tontons –papa ne porte pas de moustache, c’est un homme avisé-, moustache au beau milieu de la figure de toute autorité masculine qui entendait s’imposer ainsi, par le poil.
D’où ce constat: j’ai grandi au milieu des moustaches.
Ça me paraissait très con.
Ça me paraît toujours con, d’ailleurs.
Comment ce balai-brosse au-dessus de la lèvre de certains peut-il être vécu par eux comme étant l’épicentre de leur virilité? (Réflexion mounesque, à aujourd’hui 41 ans).
Bon.
Ça, c’était la genèse.
Car si j’ai grandi, durant toute mon enfance, au beau milieu de plein de moustaches, à mon adolescence, ô joie, ô bonheur, la pilosité de certains de ces messieurs a connu une belle déflagration sur leur gente face.
Car voici venu, avec les années 90, le temps de la barbe.
Encore plus con, si c’est possible.
La barbe, expression d’une virilité toute masculine, s’est voulue d’obédience religieuse. Ben voyons. Tu m’épates, gars. Tu m’expliqueras, un jour, le lien que tu effectues entre ces poils que tu fais patiemment pousser, et Dieu.
La barbe a ainsi «harmonieusement» coexisté, deux décennies durant, le temps de mon adolescence et de ma prime jeunesse, avec la moustache, puis s’est progressivement imposée, jusqu’à gagner le champ politique, où elle s’est vue forcée d’être taillée, ratiboisée, bien obligée d’épouser certaines rondeurs avec lesquelles, conquête du maroquin oblige, elle s’est retrouvée à composer.
Donc certains de ces messieurs (pas tous) se sont vus contraints de réduire la longueur des poils de leur barbe (un sacré trip, qui se comptabilise en millimètres, siouplé, mais ils n’ont toutefois pas renoncé à elle –oh que ce féminin me paraît délicieux).
Cette barbe, d’ailleurs, pour disciplinée qu’elle soit devenue lorsqu’elle est entrée dans certains départements ministériels, n’en est pas moins conne.
Ces messieurs ont voulu ainsi dompter leur hirsutisme, protocole oblige, us et usages d’un vieux Maroc obligent.
Le même hirsutisme que celui de la moustache, qui existe encore, qui survit, qui résiste –et mordicus, je vous prie de le croire.
A présent, il est temps pour moi de vous dire la vérité vraie, crue et nue: ces poils-là, spécifiquement ceux-ci, moustaches comme barbes, portent en eux une haine, une seule: celle des femmes.
Moustaches, comme barbes, n’entendent accorder aux femmes, moitié de la société, moitié de l’humanité, que la portion congrue.
Courbée tu as été, femme, courbée tu resteras.
Ce sont, estiment-ils, des êtres inférieurs.
Pour les moustachus, elles se doivent d’être soumises. T’es con, gars.
Pour les barbus, elles se doivent, en plus d’être soumises, voilues. T’es encore plus con, gars.
Vous savez quoi, moustachus, barbus, que vous la tailliez ou non?
Toute petite fille déjà, j’ai arraché en douceur les poils orange de mon doudou, les poils de mon enfance ressemblaient d’ailleurs à des poils teints au henné, exactement comme si c’étaient là ceux de la barbe d’un salafiste pur et dur.
Le correcteur du logiciel de traitement de texte que j’utilise, en lieu et place de «salafiste» qu’il a souligné de rouge, me propose «sataniste»…
T’as pas tort, celui qui a codé.
Donc, puisque j’ai été à même, très tôt, très vite, d’arracher des poils qui ressemblaient fort à ceux de la barbe d’un salafiste, moustachus, barbus, vous ne me foutez, par conséquent, vraiment pas la trouille.
J’arrache, j’ai l’habitude.
Ma prémonitoire douce innocence eut du bon.
PS. Bienvenue à bord de 2019. L’une de mes principales luttes, je m’y engage, sera d’arracher des poils. Sus à l’hirsutisme. Barbes de geeks, barbes de trois jours, et autres mignons ornements capillaires masculins, ne vous inquiétez pas outre mesure, je sais reconnaître, ce n’est pas vous que je pourchasse. «Je vous ai compris».