L’histoire retiendra que parmi les grandes réalisations du règne actuel, il y a le retour du Maroc à la mer Méditerranée. Le projet du port Tanger-Med avec les effets d’entraînement en matière de développement économiques et sociaux qu’il a permis, le port de Nador en cours de parachèvement, la mise en valeur des territoires du Nord d’un point de vue industriel, agricole, touristique et culturel, ont permis à cet espace de décliner graduellement ses potentialités et de combler ses retards.
Concomitamment à cette dynamique, le Maroc a mis un terme à un échange inique établi par la force en 1866 entre les anciens présides de Sebta et Melilla, transformés en comptoirs, et l’arrière pays marocain. Alors que notre présence en Andalousie a permis à cette région de connaître une longue période de civilisation et de bien-être, l’établissement de ces enclaves qui constituaient géographiquement auparavant un accès privilégié à la Méditerranée a contribué à nous empêcher de commercer avec le Nord, à nous ruraliser encore plus et à nous tourner vers l’Atlantique. Cette situation a duré plus de cinq siècles, du XVe au début XXe.
Il appartient aux historiens économiques de quantifier les manques à gagner par le Maroc durant cette longue période. Probablement l’Espagne est-elle le pays qui a le plus contribué, durant ces cinq siècles, à nos retards. Ajoutons à cela la colonisation du Sahara à partir de la fin du XIXe, territoire qui n’offrait pas d’intérêts économiques notables, mais permettait encore plus d’étouffer le Maroc sur son flanc Sud. Au risque de nous répéter, l’Espagne a eu la main lourde sur le Maroc.
Ces longues réflexions sont revenues à la charge, à la lecture d’un article du journaliste espagnol Ignacio Cembrero, bien connu chez nous par son parti pris contre le Royaume, qui «se désole» encore une fois du comportement du Maroc à l’égard des «villes espagnoles: Ceuta et Melilla».
Les faits. Les autorités marocaines, après avoir mis fin à la contrebande provenant des ces deux villes occupées qui portait des coups très sérieux à notre économie, ont commencé à prendre des décisions souveraines de délivrance d’autorisations d’exercer certaines activités relevant de la pisciculture et de régulation de trafic maritime à proximité de Melilla.
Il n’en fallait pas plus pour que Ignacio Cembrero prenne le relais, cette fois-ci, de l’extrême droite espagnole, représentée par le parti Vox, pour regretter l’abandon du commerce avec ces villes «en violation de l’accord maroco-espagnol de 1856», et l’exercice par le Maroc de ses droits sur ses eaux territoriales.
Attachons-nous à «l’accord de 1856», car pour le deuxième volet nous n’avons pas à justifier des décisions souveraines, n’en déplaise à M. Cembrero et aux ténors de Vox. D’abord l’accord entre le Maroc et l’Espagne date de 1866 et non pas de 1856. Cet accord, qui prévoyait la liberté de commerce entre des deux villes occupées et l’arrière-pays, a été obtenu suite à la défaite de l’armée marocaine face à l’espagnole en 1860. Il y a un autre accord, celui de 1856, qui lui prévoyait la liberté de commerce avec le Royaume-Uni et non l’Espagne. Pourquoi Ignacio Cembrero parle de 1856 et non 1866? Parce qu’il connaît probablement les conditions féroces imposées par son pays. Cet accord «a sauvé» ces deux présides qui allaient être abandonnés parce que constituant une charge trop lourde pour Madrid.
Ignacio Cembrero et Vox, dont les violons sont parfaitement accordés sur ce dossier, savent pertinemment qu’à défaut de commerce avec le Maroc, ces deux villes connaîtront l’abandon, entraînant la disparition de la présence coloniale espagnole.
La référence à l’accord hispano-marocain de 1866, obtenu sous la contrainte, ne pose manifestement pas problème à Ignacio Cembrero et au parti Vox. Par contre, quand le Maroc fait état de liens juridiques d’allégeances consensuelles avec les tribus sahraouies cela pose problème. On aime dans ce cas de figure faire fi des formes de relations de pouvoir qui prédominaient dans la région à l’époque. Vérité en deçà du Détroit, erreur au-delà.
En lisant Ignacio Cembrero, me vient à l’esprit ce qu’a dit le poète Nâzim Hikmet à Pierre Loti: «vous êtes un charlatan». Bien qu’il se soit érigé en porte-voix de Vox, je lui fais grâce de ce qualificatif, parce que je sais qu’il aime la cuisine marocaine. Il faut tout simplement qu’il n’en fasse pas un commerce.