Les deux enregistrements mettant en cause Laurent et Graciet ont été jugés «illégaux» par le Cour de justice. Est-ce pour autant une victoire pour ces deux individus qui ont une conception bien étrange du métier de journaliste ? On ne va pas polémiquer sur la forme de tel ou tel jugement. Ce qui ressort de cette histoire, quelle qu’en soit la conclusion, c’est que les préjugés doublés de malveillance à l’égard de notre pays sont têtus. On pourra toujours trouver ce qu’on appelle «un vice de forme» pour ralentir ou, pire, échapper à la justice. Il n’en reste pas moins que nous avons là affaire à des gens qui avaient pour projet d’écrire un livre contre le Maroc et contre son souverain. «Le vice de forme», c’est Balzac qui en a parlé en 1830 et l’a défini ainsi: «Défaut d’un acte juridique ou instrumentaire qui manque d’une des formalités extérieures exigées par la loi pour sa validité ou sa confection». La justice l’a ensuite adopté.
"Le Seuil" est l'un de mes éditeurs. J’ai pu vérifier auprès de son patron que ces personnes n’avaient présenté ni synopsis ni un début de chapitre. Elles s’étaient présentées avec un projet, juste une promesse de rendre publiques des choses capables de déstabiliser le royaume. Elles auraient dit qu’elles détenaient des preuves mettant en cause la famille royale et que le livre ferait scandale. "Le Seuil" avait publié en 2012 des mêmes auteurs «Le roi prédateur», un ouvrage qui avait été vendu, toutes éditions confondues, à 40.000 exemplaires. Ce fut sur ce résultat que le patron du Seuil a accepté de leur avancer la somme de 20.000 euros chacun. Tout cela sans avoir produit le moindre écrit, juste des paroles et des promesses. Pas un mot sur leurs sources! C’est bien connu, les journalistes sérieux protègent leurs sources.
La suite, on la connaît. Ce qu’on n’a pas assez dit, c’est qu’en France, la corporation médiatique n’a pas fonctionné pour ces individus. Au contraire, ils furent dénoncés même si, au passage, certains ont essayé d’égratigner le Maroc, doutant de sa bonne foi et laissant entendre que ce sont des pratiques plausibles de la part d’un système «qui a la main sur tout».
Qu’ils se mettent au travail et qu’ils écrivent ce livre! A moins que les sources ne tardent à leur parvenir de la matière ou ne soient découragées par la tournure prise par le projet. Ils seraient alors à sec. Les éditions du Seuil ont engagé, avant l’été, une procédure pour récupérer les sommes avancées. La justice tranchera d’ici la fin de l’année. Après tout, dans l’édition, l’avance a pour rôle de stimuler la création. Si Laurent et Graciet n’ont pas de matière, si le livre n’est pas écrit, il est tout à fait normal qu’ils rendent l’argent.
«La charte des devoirs du journaliste», publiée en juillet 1918, dit: «Un journaliste digne de ce nom (…) prend la responsabilité de tous ses écrits, même anonymes (…) tient la calomnie, la diffamation et les accusations sans preuve pour les plus graves fautes professionnelles (…) ne touche pas d’argent dans un service public ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées (…) n’abuse jamais de la liberté de la presse dans une intention intéressée.» Voilà qui est clair et ne peut en aucun cas être contredit. Que la justice ait cédé sur la forme, le fond reste là, avec sa charge et ses évidences.
Enfin, une dernière remarque: il y aurait un livre, un grand livre, un bon livre à écrire sur le Maroc, mais un livre écrit de bonne foi, le plus objectif possible, un essai qui ferait le bilan de ces deux dernières décennies, qui montrerait le positif et le négatif ou du moins le stable. Un livre, pas pour faire scandale, pas pour injurier et diffamer, pas pour traiter le réel par le petit bout de la lorgnette. Ce livre, ce sont les Marocains de la société civile qui l’écrivent tous les jours et ils s’expriment en toute liberté.