L’immigration est un thème récurent dans les campagnes électorales en Europe. L’islam aussi. Ainsi, si on supprime ces deux thèmes du discours du Front National ou du Parti hollandais d’extrême droite le PVV (parti de la Liberté), il n’y aura plus grand-chose pour faire peur aux électeurs, pour les séduire et les motiver.
Le cas de Geert Wilders, leader du PVV, est plus flagrant. Il ne mâche pas ses mots, utilise l’insulte, la diffamation et promet d’être sans pitié avec les Marocains s’il est élu. Il les traite de «racailles» et voudrait «rendre le pays aux Néerlandais»: «La racaille marocaine en Hollande… bien sûr, ce ne sont pas tous de la racaille, mais il y en a beaucoup qui rendent nos rues dangereuses, principalement des jeunes… Il faut que ça change».
Le mot «racaille» est un mot de l’ancien français «rasquer» qui veut dire «racler» et «raser». Il est utilisé pour marquer le mépris dans lequel on tient le peuple qui, du coup, se dit «populace» pour se confondre avec la plèbe, la lie. C’est donc une insulte sans mystère. Avant Geert Wilders, Sarkozy l’avait aussi utilisé en 2005 lors d’une visite à Argenteuil, alors ministre de l’Intérieur, ajoutant qu’il était prêt à utiliser le kärcher pour nettoyer les banlieues de ses délinquants.
Le leader hollandais avait en plus demandé de fermer des mosquées et voulait interdire le Coran sur le sol hollandais, livre qu’il compare à «Mein Kampf» !
Nous retrouvons les mêmes idées chez «La Ligue du Nord» en Italie, dont le racisme anti-marocain et anti- musulman est connu.
Que faire ? Nous assistons aux menaces et à la proclamation d’une haine tenace sans réagir. Evidemment, l’idéal serait que ces immigrés marocains puissent rentrer chez eux, gagner de nouveau leur vie et, surtout, gagner leur dignité.
Malheureusement, ce n’est pas simple. L’immigration marocaine dans les Pays-Bas ne date pas d’hier. Un nombre important de cette population est bien intégrée et ne se considère pas comme de «la racaille». Je me souviens avoir assisté il y a trois ans à une grande fête organisée par la ville d’Amsterdam où plus de quatre cents entrepreneurs et créateurs d’origine marocaine étaient célébrés avec la présence de plusieurs ministres. Mais il y a toujours quelques éléments, minoritaires, qui sont frappés par le malheur ou font le malheur autour d’eux. Généraliser, confondre une petite minorité de délinquants avec toute une communauté, la traiter de la sorte, est du racisme qui devrait être puni par la loi. Mais en ce moment, surtout avec la victoire de Trump, la banalisation de la haine et de l’exclusion est fréquente.
Que devrait faire la communauté marocaine ? Il serait utile qu’elle se mobilise pour, d’un côté réduire les méfaits de certains égarés, les sauver de la radicalisation par l’éducation, le dialogue et la raison, et de l’autre, répondre sur le plan judiciaire aux insultes et diffamations dont elle est victime de la part de Geert Wilders. Il a déjà été condamné par un tribunal hollandais pour «incitation à la discrimination». Cela ne l’a pas empêché de poursuivre sa charge anti-immigration et anti-islam.
Mais, sur un autre plan, nous devons nous poser la question «Pourquoi en est-on arrivé là ?», autrement dit, regarder certaines réalités en face et faire un examen de conscience avant de crier au scandale.
Les Pays-Bas étaient un pays où l’immigration marocaine vivait sans grands problèmes. Composée principalement des gens du nord, du Rif, cette communauté vivait en paix. J’en parle ainsi parce que je l’avais souvent rencontrée dans les années soixante dix-quatre vingt. Je la donnais même en exemple en France où les immigrés marocains subissaient le racisme banal et quasi quotidien.
Voilà que le fanatisme religieux allait s’en mêler. L’assassinat le 2 novembre 2004 de Théo van Gogh, un réalisateur et publiciste qui tenait des propos très critiques sur l’islam et les musulmans par un Hollandais d’origine marocaine, Mohamed Bouyeri, allait tout changer dans la société néerlandaise. Il faut dire que la sauvagerie de ce crime (après l’avoir abattu par balles, il l’a égorgé, décapité et planté le couteau dans sa poitrine), avait sali à jamais les musulmans de ce pays. L’assassin faisait partie d’un réseau islamiste et terroriste Hofstad qui menaçait la paix des citoyens.
A partir de cette horreur largement diffusée par les médias, les répercussions sur les Marocains vont être très néfastes. C’est ce qui va alimenter le discours haineux de Geert Wilders. Et c’est cet homme qui risque de gagner, démocratiquement, les prochaines élections législatives dans le pays de Vincent Van Gogh, de Rembrandt et d’une grande et belle civilisation.
Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur la responsabilité de la communauté marocaine qui a manqué de vigilance et a laissé se développer en son sein le virus du fanatisme et de l’ignorance. Je me souviens d’un film du Tunisien Nacer Ktari «Les Ambassadeurs», (1975) un film sur l’immigration maghrébine en France. Une autorité du pays fait un discours en s’adressant aux hommes et femmes qui s’apprêtaient à émigrer: «Vous êtes les ambassadeurs de votre pays, de notre culture et de notre civilisation!» Oui, des représentants, des émissaires d’un type spécial qui partent gagner leur vie et aussi sauvegarder leur honneur et leur dignité. Hélas, les choses ont pris un autre tournant. Ceux qui aujourd’hui causent des problèmes, ce ne sont pas des immigrés, mais leurs enfants, nés sur le sol européen et ayant la nationalité européenne.
Le geste horrible de Mohamed Bouyeri fut le début d’un cycle où le terrorisme allait se développer au nom d’une religion détournée de son sens et de ses valeurs. Le monde vit aujourd’hui sous ses menaces. Un récent sondage de l’institut Montaigne (Le Figaro du 4 mars 2016) nous apprend que 28% des musulmans vivant en France considèrent que la charia est au-dessus des lois de la République. Ce sont des considérations de ce genre qui alimentent le racisme anti-musulman, anti-immigrés, anti-Arabes.