La France est de nouveau secouée par une vague insurrectionnelle qui rappelle d’une certaine façon les grandes manifestations spontanées de Place Tahrir en Egypte ou celles dans les rues de Tunis fin 2010. Si on laisse de côté les casseurs qui sont des voyous profitant du malheur des autres, on remarque que les Français n’en ont pas tout à fait fini avec la révolution de 1789, plus précisément avec le 15 janvier 1793, jour où Louis XVI a été décapité.
Le fait que la démission de Macron, élu démocratiquement, soit devenu le leitmotiv de certains Gilets jaunes, prouve que le peuple réclamant la tête du chef de l’Etat fonctionne encore dans l’imaginaire de ceux qui ne savent à qui adresser leurs doléances. Des commentateurs ont parlé de révolution et non de révolte, faisant allusion à Louis XVI qui pensait que la colère du peuple durant 1792 était une sorte de mauvaise humeur.
Macron s’exprimera ce lundi soir. Pour le moment c’est son Premier ministre qui est en première ligne. Il ne s’agit pas de faire un discours de plus. Les gens attendent des décisions qui répondent à leurs angoisses, à la pauvreté dont ils souffrent.
L’Etat est incapable de répondre à cette souffrance. Plus de huit millions de Français (soit 14% de la population) vivent sous le seuil de pauvreté. Trente ans après la création du RMI (revenu minimum d’insertion), la pauvreté n’a pas reculé. Elle aurait même augmenté. Pour les autres, le pouvoir d’achat est faible. Il y a un mal de vivre, un vrai malaise dans les familles. L’ascenseur social est en panne ; les inégalités de plus en plus flagrantes. D’après l’OCDE «il faudrait six générations (180 ans) pour qu’une personne issue d’une famille pauvre atteigne le revenu moyen».
L’intervention attendue du président de la république sera décisive: non seulement Macron a tout intérêt à parler de manière humaine et précise, changeant d’attitude et de style, mais de faire des propositions concrètes qui répondraient et apaiseraient la colère populaire. Certains réclament qu’il reconnaisse ses erreurs et qu’il s’excuse.
Désacralisé et isolé, désavoué sur le plan international (des commentaires désagréables de Trump, Salvini et Erdogan), Macron joue ces jours-ci son avenir politique. La semaine dernière, lors de la visite à la préfecture de Puy-en-Velay incendiée par des manifestations, il a été sifflé et hué, certains ont craché en direction de sa voiture. Rarement un président de la cinquième république a connu un tel désaveu.
De tout temps, un peuple opprimé économiquement ou privé de liberté, s’exprime dans la rue, parfois avec une grande violence. La foule n’est jamais raisonnable. Elle est même dangereuse car elle est animée par des sentiments d’impuissance et par de la colère.
En même temps on remarque que le peuple –qui n’est pas une addition d’individus– est capable d’aller contre ses propres intérêts et de porter au pouvoir un président qui ne cache pas ses idées fascistes, comme ce fut le cas au Brésil il y a quelques semaines. En France, certains Gilets jaunes ont demandé à l’armée de prendre le pouvoir, autrement dit de faire un coup d’Etat et de piétiner les principes de la démocratie sur lesquels sont fondés les institutions de la république.
Il y en a même qui ont proposé d’envahir le palais de l’Elysée pour faire sa fête au président de la république et mettre (symboliquement) sa tête sur une pique !
Cette situation insurrectionnelle fait au fond le jeu du parti de Marine Le Pen, le Rassemblement national. Or tout le monde sait que si ce mouvement arrive au pouvoir, il ne fera pas mieux que l’italien Salvini qui, avec des slogans anti-immigrés et anti-musulmans, a conquis le pouvoir et a mis l’Italie dans une situation économique difficile.
Le problème de la France, c’est qu’il n’y a pas d’alternative. Il n’y a pas d’homme providentiel qui viendrait sauver ce pays qui dépend de l’économie mondiale ainsi que des décisions européennes prises à Bruxelles. La tâche de Macron est immense, très délicate et nécessite une expérience politique, un bagage politique qu’il n’a pas, parce qu’il est passé du statut d’un banquier technocrate à la plus haute fonction de l’Etat. Il est trop jeune et pas assez expérimenté. Pourtant c’est ce qui avait séduit la majorité des Français.
Durant les évènements de mai 1968, le général De Gaulle fit un premier discours le 24 mai. Il n’a pas calmé la rue. Il est revenu le 30 et là, il a décidé de dissoudre l’assemblée nationale et a demandé à ses ministres de descendre manifester dans la rue pour soutenir les institutions. Le lendemain un million de gens a répondu à son appel.
Macron n’a pas l’épaisseur historique de De Gaulle. Mais il devrait s’en inspirer en s’adressant dans les heures qui viennent au peuple de France.