Le lecteur marocain peut se passer de lire le dernier roman de Michel Houellebecq. Pour une fois, il ne tape ni sur l’islam ni sur les Arabes. Cette fois-ci, il s’occupe de régler des comptes avec l’Europe qui, comme son personnage est en dépression.
D’une lecture agréable, «Sérotonine» (Flammarion) reprend les thèmes traditionnels que les lecteurs masochistes adorent. Houellebecq scrute la médiocrité de l’homme occidental, sa bassesse, ses incohérences et s’attarde sur sa sexualité toujours complexe et dramatique. Il faut dire que chez Houellebecq la femme est loin d’être «l’avenir de l’homme» (Aragon). Elle en est l’objet d’attraction et de détestation. On apprend par exemple que les femmes asiatiques ne peuvent pas réussir de bonnes fellations parce que leur gorge n’est pas assez profonde «en raison de la petite taille de la bouche» (page 67).
Le racisme inévitable dans cette littérature s’acharne cette fois-ci sur les Hollandais, «c’étaient vraiment des putes ils s’asseyaient n’importe où, une race de commerçants polyglottes et opportunistes». On ne sait pas ce que les habitants des Pays-Bas lui ont fait, mais il les couvre d’insultes. Cela passe comme une sorte de folklore nécessaire à la sauce houellebecquienne. Et les critiques trouvent ça génial.
Son livre qui sort ces jours-ci en France et en Italie, a été tiré à 320 000 exemplaires! Un chiffre hallucinant, quand on sait la crise actuelle de la librairie et de la lecture. Qu’importe. Les médias français lui ont déjà consacré des pages dithyrambiques, bien avant sa publication. Il a bénéficié la même semaine de la première page du Figaro et du Monde et tout un reportage dans Libération. Ce qui est paradoxal, c’est que ces journaux sont attaqués par Houellebecq dans «Sérotonine»!
Ce privilège dont jouit cet auteur, à chaque fois qu’il publie un livre est extrêmement rare. Pourtant ce dernier roman n’est pas un chef-d’œuvre, c'est tout au plus un livre plaisant sur le déclin de l’Occident et sur les obsessions d’un personnage qui rate tout, surtout sa vie sexuelle. Mais Houellebecq est une entreprise (c’est ainsi qu’il qualifie la Hollande) qui a une bonne technique de marketing. Tout est prévu à l’avance, étudié et mis en place avec talent. Ainsi, il a décidé de ne pas faire de promotion de son livre. Pas d’interview, pas de déplacement dans les librairies. Il se fait rare, quasi-absent. De toute façon, les médias ont tous déjà fait le travail.
Voilà qu’on apprend qu’Emmanuel Macron lui accorde la Légion d’honneur et qu’il va la lui remettre lui-même. Nous ne sommes plus dans le domaine littéraire, mais bien dans la politique surtout que cet auteur n’a pas été avare en déclarations d’ordre politique qui le situent de plus en plus à l’extrême-droite. Il fait l’éloge de Trump («il est un des meilleurs présidents américains que j’aie jamais vu», et choisit le magazine conservateur de droite «Valeurs Actuelles» pour donner une longue interview. Mais cela est son droit. Ce qui est choquant dans cette affaire c’est ce que Macron a la mémoire courte; Michel Houellebecq a déclaré durant la campagne électorale des présidentielles ceci : «je vais donner une interview où j’appellerai à une guerre civile pour éliminer l’islam de France. Je vais appeler à voter Marine Le Pen». Cette déclaration à la haine de l’islam et des musulmans n’est pas nouvelle. C’est bien le même Houellebecq qui avait insulté publiquement l’islam et a dû s’en expliquer devant les tribunaux.
Ce qui fait écrire au journaliste Claude Askolovitch, dans «Slate» du 2 janvier 2019, ceci: «que des Français de confession musulmane doivent se faire à l’idée que leur tristesse ne compte pas, c’est la vérité d’une médaille que la République accorde à Michel Houellebecq». Si cet écrivain était cohérent, il aurait refusé cet honneur. Comme on dit, il l’a accepté mais toute son œuvre la refuse.
Macron est peut-être séduit par cet écrivain nihiliste, sans style, mais qui sait comment décrire la grande médiocrité de la vie tout en étant machiste, anti-féministe et islamophobe. D’ailleurs Macron avait promis de faire une déclaration sur l’Islam de France en ce début d’année. Que va-t-il dire aux cinq millions de musulmans dont une grande partie est française ? Besoin d’un peu de cohérence. Besoin qu’il s’adresse à cette communauté qui, dans une bonne majorité, ne se sent pas acceptée et reconnue dans ce pays. Et c’est le moment choisi par Macron d’honorer un écrivain connu pour sa détestation de l’islam.
C’est l’air du temps. Quoique, de plus en plus de femmes se détachent de la passion Houellebecq. Il n’en reste pas moins que le lancement de «Sérotonine» est semblable à l’arrivée sur le marché d’une nouvelle Fiat ou d’un parfum à la mode. Tout lui est dû. Et il en est de même en Italie, où le roman vient de sortir avec le même tapage. La presse de ce matin constate qu’on «s’arrache son roman». Tant mieux pour les libraires.