Chère Meryl Streep,
J’ai appris que vous venez bientôt dans mon pays. Je suis heureux de cette belle initiative. Vous serez avec Michelle Obama et vous avez décidé de faire quelque chose pour l’éducation des filles. Votre idée est noble et généreuse. J’espère que vous aurez le temps de vous rendre compte par vous-même de la condition féminine en général et de celle des petites filles en particulier.
Sachez que plusieurs associations de la société civile s’occupent avec détermination et courage de l’un des fléaux de notre pays. Les parents, surtout dans les campagnes, retirent de l’école leurs filles dès qu’elles atteignent l’âge de la puberté. Cela pour deux raisons : l’une pour les marier en vue d’éviter un éventuel déshonneur, l’autre pour les empêcher de prendre conscience de leur statut et leur rôle dans la société. Il faut bien perpétuer les traditions et coutumes au prix de la dégradation de la condition féminine.
Un nombre important de ces petites paysannes travaille dans des familles en ville. On les appelle «les petites bonnes». Il a fallu maints débats au Parlement pour qu’enfin l’âge requis pour qu’elles travaillent soit de 18 ans. Cela n’a pas été facile. La société marocaine est comme toutes les sociétés du monde. Elle ferme les yeux sur ce qui la dérange. Ne pas faire de bruit, ne pas faire éclater le scandale. Un petit esclave à domicile en vous faisant remarquer qu’on lui rend service !
Chère Meryl Streep,
Je voudrais vous dire combien je vous admire et combien votre talent est éblouissant. Vous avez la beauté et la grâce, l’intelligence et l’élégance, la justesse et la détermination. Vous allez être charmée par le Maroc, ses paysages, sa lumière, ses parfums. Mais je sais que vous ne vous contenterez pas de ces moments protocolaires, de ces instants «officiels» où le tapage risquerait de faire oublier votre mission. Je sais que vos intuitions sont justes et précises. Ecoutez les femmes qui sont sur le terrain, celles qui se battent tous les jours pour que l’innocence de jeunes filles ne soit pas saccagée par des brutes, que l’espérance portée par ces filles parvienne à vaincre les tabous, les pesanteurs, les hypocrisies sociales, les pudeurs mal placées et cette honte qui voile la réalité.
Laissez vos yeux se poser sur tout, car le réel est complexe et ne se livre pas si aisément.
Je sais qu’avec votre amie et complice Michelle Obama vous mettrez le doigt sur ce qui se dissimule derrière les murs, derrière la façade d’une hospitalité sans pareille.
Le Maroc est une vieille nation et un jeune Etat qui s’installe lentement dans le droit et la démocratie. Ce n’est pas parfait. Mais il avance et tend vers une modernité portée par la volonté d’un monarque d’exception, Le roi Mohammed VI. Il y a cependant des forces de régression, des blocages faits de conservatisme et de peurs, faits de freins qui empêchent l’émancipation de la femme. En même temps, ce sont des femmes, courageuses et entêtées qui tiennent la société civile. C’est une femme qui a créé la première association de lutte contre le Sida dans le Maroc et aussi dans le monde arabe. Ce sont des femmes qui accueillent et sauvent de la déchéance des filles mères, des femmes battues, des femmes violées et rejetées par leur propre famille.
Chère Meryl Streep,
Quand j’étais jeune, j’ai été longtemps amoureux d’Ava Gardner. Inaccessible et hors du temps, je l’avais finalement intégrée dans mon imaginaire d’écrivain et lui ai maintes fois rendu hommage. Aujourd’hui, si je vous dis que je vous aime, ce n’est pas une formule, mais quelque chose de noble et très humain. Un amour inscrit dans la gratuité et la beauté du geste. Vous m’avez fait pleurer (Le choix de Sophie) et vous m’avez aussi fait rire et danser (Ricky and the Flash), car vous êtes capable de faire sortir les larmes et tirer des éclats de rire. Vous êtes actrice, c’est-à-dire une messagère du songe et de la réalité dans un monde qui passe souvent de la tragédie et des larmes à la lumière et la beauté, ce qui fait qu’on continue de vivre et d’espérer. Bienvenue au Maroc. Soyez avec nous sans complaisance. Nous avons tant besoin d’un regard critique et réellement humain.