Le grand écrivain anti-fasciste, Carlo Levi avait écrit "Le Christ s'est arrêté à Eboli". Pour nous, c'est le printemps qui s'est arrêté en Tunisie en perdant son soleil et ses lumières.
Nous avons tous cru que la Tunisie allait échapper aux ténèbres qui bousculent actuellement la plupart des pays arabes. L’Egypte a retrouvé les vieilles méthodes autoritaires qui avaient cours du temps de Moubarak. Aucune opposition n’y est tolérée qu’elle soit laïque ou islamiste. Mais cela n’a pas empêché les terroristes de faire le malheur de touristes. La Place Tahrir était le lieu où des centaines de milliers d’hommes et de femmes se retrouvaient pour en finir avec un régime corrompu. Malheureusement des élections ont donné la majorité aux Frères musulmans qui ont gouverné sans respecter la démocratie. Par un coup d’Etat, le général Al Sissi, soutenu par les Américains et les Saoudiens a pris le pouvoir, poursuivant ainsi la tradition d’une Egypte dirigée depuis Nasser par l’armée. Ce qui a changé cependant dans ce pays, c’est que les gens n’ont plus peur. Mais encore une fois les difficultés économiques rendent impossible toute évolution vers une société juste et égalitaire. La religion reste présente partout, ce qui ne facilite pas l’accès à la modernité et à l’émergence de l’individu.
La Syrie est empêtrée dans une guerre dont on ne voit pas l’issue, donnant à Bachar al Assad une légitimité usurpée et sans fondement. Mais sans l’aide de Poutine, ce régime criminel aurait depuis longtemps disparu. La Lybie est en train de sombrer dans un chaos qui plaît beaucoup à Daech, lequel étend sa barbarie un peu partout dans le monde.
La Tunisie qui a eu le courage et la chance d’adopter une constitution historique a cru un moment prendre son envol et reconstruire un pays sur des bases démocratiques. La liberté de conscience est garantie ainsi que l’égalité des droits entre l’homme et la femme. C’est unique dans le monde arabe. Mais le terrorisme n’était pas de cet avis. Il a frappé en plusieurs endroits et a fini par assassiner l’économie de ce petit pays. Il n’y a presque plus de touristes et le mécontentement populaire ne cesse d’augmenter au point où l’Etat a imposé un couvre-feu le 20 janvier dernier. 255 personnes ont trouvé la mort suite à des attentats terroristes durant les deux dernières années. L’attaque du musée Bardo le 18 mars 2015 a fait 23 morts et 43 blessés ; l’attentat de la station balnéaire de Sousse s’est soldé par 37 morts dont la majorité est britannique ; le 25 novembre 2015, le bus de la garde présidentielle a été attaqué en plein centre de Tunis, 11 morts. Des affrontements nombreux entre l’armée et la police d’un côté et des individus armés de l’autre ont souvent lieu à l’intérieur du pays comme à Rouhyia, Bir Ali Ben Khalifa, Fernana. Des bergers sont égorgés, des soldats attaqués et massacrés par des éléments ayant prêté allégeance à Daech. Ajoutez à cela les assassinats politiques comme celui du syndicaliste de gauche Chokri Belaid et du député Mohamed Brahmi. Le pays n’est pas sécurisé, les touristes n’y viennent plus.
Les islamistes, que ce soit dans les rangs d’Ennahda, le parti islamiste qui fut au pouvoir au début de la révolution, ou de Frères musulmans sous la coupe du wahhabisme saoudien (dogme dur appliquant à la lettre la charia) ne sont pas contents de voir la Tunisie se moderniser en donnant ses droits à la femme et être ouverte sur l’Europe.
Le problème de la Tunisie c’est que l’économie n’a pas redémarré. Le chômage a progressé notamment dans les rangs des jeunes dont la plupart sont diplômés et sans travail. La police, malgré ses efforts, n’est pas en mesure d’affronter l’ennemi terroriste qui puise ses adeptes parmi des gens désespérés ou bien séduits par le discours religieux qui leur promet une vie meilleure une fois devenus martyrs !
La société civile tunisienne est très active. Elle se bat sur tous les fronts, notamment celui de la condition de la femme qui jouit de droits rares dans les pays arabes et musulmans.
Mais le pays est menacé ; impossible de surveiller les centaines de kilomètres de frontières avec la Lybie d’où viennent les terroristes de l’AQMI (Al Qaeda du Maghreb) et du pseudo «Etat islamique». Beaucoup d’armes traversent ces frontières. La Tunisie ne peut seule faire face au défi terroriste. Elle aurait besoin d’être aidée, soutenue économiquement, appuyée politiquement. L’Europe assiste à ce naufrage sans pouvoir faire grand chose. L’Algérie ne l’aide pas non plus, elle a trop à faire avec la crise économique due à la baisse du prix du pétrole. La jeunesse est impatiente. Plusieurs centaines ont rejoint les rangs de Daech, soit par désespoir soit par esprit d’aventure. La Tunisie craint le retour de certains d’entre eux. C’est le même problème qui se pose aussi bien au Maroc qu’à toute l’Europe.
Le printemps arabe n’a pas dit son dernier mot. Avec le temps et la défaite espérée de Daech, peut-être qu’il reprendra et ramènera la paix et la prospérité à ces peuples que l’histoire a si bien maltraités.