Le Covid adore Aïd al-Kébir

Famille Ben Jelloun

ChroniqueL’Aïd est l’occasion pour les familles de se retrouver. Des centaines de milliers de personnes vont se déplacer dans le pays. Le virus sera content. Elles le transporteront avec elles et le passeront aux membres de leur famille qu’elles aiment tant.

Le 20/07/2020 à 12h52

Le Covid-19 adore les fêtes. Il les recherche, les trouve puis met à terre tout le monde ou presque. Le virus se trouve conforté dans sa brutalité et se paye des victimes qui auraient pu ne pas l’avoir rencontré. Ainsi, cette année, au moment de l’Aid al-Kébir, il sera de la fête. Normal, même avant le jour du sacrifice, il essaiera de faire son apparition meurtrière dans les souks, dans les abattoirs, dans tous ces lieux où l’on se rassemble autour des moutons.

Ceci est un fait avéré. Pas besoin d’être un éminent savant pour prévoir que l’Aid al-Kébir sera l’occasion de contaminations nombreuses.

Une fête, oui, mais à haut risque.

Faut-il, cette année, interdire le sacrifice du mouton, comme l’avait fait feu Hassan II pour cause de sécheresse ? Les Marocains avaient dû renoncer à sacrifier le mouton de l’Aïd en 1963, 1981 et 1996. Cette réponse raisonnable aux difficultés causées par la sécheresse n’a traumatisé personne. Pourquoi pas cette année?

On aurait pu se passer de cette fête, à condition que l’Etat puisse aider financièrement les petits paysans qui ont élevé des moutons pour les vendre à cette occasion. Par ailleurs, le virus a eu pour conséquence une crise économique sans précédent. Nombreux ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter un mouton. Raison de plus, pour faire de cette année, une «année sans».

Et que faire des millions de bêtes restées sur le carreau ? On pourrait imaginer les égorger et stocker leur viande dans d’immenses congélateurs. C’est sans doute compliqué. Mais j’essaie de trouver une solution qui ne pénalise pas les propriétaires de ces bêtes engrossées pour cette fête, chère (dans tous les sens du mot) aux citoyens.

Depuis le déconfinement, on a constaté une augmentation de cas de contamination assez importante. On est passé de quelques dizaines de cas à parfois plusieurs centaines par jour. Le Maroc n’a pas les moyens d’affronter une pandémie qui prend des dimensions énormes.

Certes, il y a des citoyens imprudents, d’autres inconscients du danger du virus. J’ai vu des images, notamment à Tanger, de manifestants qui crient que le Coronavirus n’existe pas. Il faut dire que c’étaient des jeunes qui manifestaient dans des quartiers populaires. C’est grave et dangereux de nier l’évidence.

Certains sont disciplinés, portent le masque, se lavent souvent les mains, font tout pour éviter d’attraper le virus. Mais ils ne constituent pas la majorité.

D’autres croient à un complot venu d’ailleurs. Cette manie qu’on a de convoquer l’idée d’un complot pour expliquer ce qui arrive est dangereuse. Ça évite de penser, de réfléchir et d’agir en conséquence.

Il n’existe pas de chef d’orchestre derrière l’arrivée du Coronavirus dans le monde. Ce n’est ni la Chine ni l’Amérique qui sont derrière cette vacherie exceptionnelle. C’est le hasard et les erreurs de quelques Chinois qui ont consommé de la viande d’animaux sauvages pleins de ce virus. Ensuite, la contamination a été rapide, effrayante et surtout inattendue. Quant à la Chine, elle est coupable d’avoir tardé à prévenir le monde d’une catastrophe annoncée.

Revenons à nos moutons.

L’Aïd est l’occasion pour les familles de se retrouver. Des centaines de milliers de personnes vont se déplacer dans le pays. Le virus sera content. Elles le transporteront avec elles et le passeront aux membres de leur famille qu’elles aiment tant.

Face à l’aggravation de l’épidémie dans le pays, force est de prendre des décisions exceptionnelles afin d’éviter de nouvelles contaminations. C’est la voix de la raison. Mais la raison n’est pas toujours populaire. Dommage. 

Par Tahar Ben Jelloun
Le 20/07/2020 à 12h52