Regardez la vidéo où la comédienne Fadoua Taleb joue le rôle d’une Marocaine qui cherche à se marier et ce qu’elle découvre dans le fond de la mentalité de l’homme marocain dans toute sa splendeur et simplicité. Elle se confie à la caméra comme dans un reportage, un documentaire sérieux. En trois minutes, elle dit l’essentiel, avec des mots justes, violents, cruels. Mieux qu’une analyse de spécialiste, elle décortique le comportement fréquent du Marocain d’aujourd’hui, qu’il soit issu de milieux populaires ou de classes sociales aisées. Elle compare la vie de l’étrangère qu’il épouse à celle de la femme du bled qu’il a délaissée ou simplement séduite et abandonnée.
Il y a longtemps que je ne cesse de confirmer un constat : entre certains Marocains et la femme, le malentendu est grand. D’où vient ce fait, cette cassure, ce désordre, cette absence d’harmonie et d’équilibre ? Cela vient de loin. La grande ethnologue Germaine Tillion (qui a longtemps circulé au Maghreb et l’a étudié) démontre dans «Le Harem et les cousins» (publié en 1966 aux éditions du Seuil) combien les traditions font que le mâle est assuré d’une suprématie systématique dans la famille. Il faut ajouter à ce fait la mauvaise interprétation de la religion. Aucune religion n’autorise les actes de violence dont sont victimes les femmes. Pourtant, cette brutalité est répandue dans le monde entier. En France, les statistiques nous apprennent qu’une femme meurt tous les deux jours, victime de violence de la part de l’homme.
L’alcool et la drogue sont des ingrédients qui favorisent ces drames. Tous les pays européens souffrent de cette anomalie, de cette pathologie. La différence entre ces pays et le Maroc, c’est que ce scandale est dénoncé de plus en plus, des campagnes de lutte contre cette violence sont menées dans les médias et dans la rue. Quant à la justice, elle ne badine pas avec le viol. C’est une des victoires des féministes européennes.
Au Maroc, souvent la victime est mal perçue. A la limite, on l’accuserait d’avoir, par sa façon de s’habiller ou de marcher ou de s’exprimer, provoqué l’homme en face d’elle. On dit: «Elle l’a bien cherché !».
Que de fois j’ai vu un homme frapper une femme dans la rue. Les gens regardent et n’interviennent pas. Quand, un jour, j’ai voulu séparer un couple, il s’est trouvé une femme pour me faire la leçon: «Dkhoul fe souk rassek ! Reste à l’écart, n’interviens pas, laisse le faire, car tu ne sais pas ce qu’elle lui a fait ; de toutes façons, on ne sait jamais ce qui se passe entre un homme et une femme !» Là-dessus, un passant cite un verset du Coran qui n’a rien à voir avec ce qui se passe…
L’émission de 2M sur le maquillage des blessures d’un tabassage subi par une femme a évidemment choqué. Le fait que la rédaction de cette chaîne se soit excusée est important, mais révèle quelque chose de plus grave: on a tellement intégré dans nos mentalités et habitudes que la violence faite aux femmes est banale et quasi «normale» qu’on ne s’est même pas posé la question de savoir si montrer comment camoufler les traces de ce viol n’était pas une provocation.
Les déclarations de quelques députés et autres hommes politiques dont le chef de gouvernement sur ce que devrait être le statut de la femme dans notre société (le lustre qui illumine la maison, maison qu’il ne faut pas quitter), la maladresse d’une ministre faisant le grand écart entre les coups et la virilité, le fait aussi que l’un des ministres du parti islamiste soit polygame, la solidarité du PJD avec Hammad Kabbaj, un imam antisémite et contre l’action de la grande dame de la société civile, Aïcha Echenna, le fait enfin de faire appel à l’islam pour justifier l’inégalité entre l’homme et la femme en ce qui concerne l’héritage, tout cela participe d’une vision où la femme est inférieure à l’homme. Or, tant que cette infériorité est affirmée, la société marocaine ne pourra pas prétendre à la modernité. Le critère du progrès social et de la modernité d’une civilisation se mesure par la condition faite à la femme.
La conclusion du livre de Germaine Tillion a quelque résonance avec ce que nous vivons aujourd’hui : «A notre époque de décolonisation généralisée, l’immense monde féminin reste en effet à bien des égards une colonie. Très généralement spoliée malgré les lois, vendue quelquefois, battue souvent, astreinte au travail forcé, assassinée presque impunément, la femme méditerranéenne est un des serfs du temps actuel».
Le cri de colère et de dérision de Fadoua Taleb ne dit pas autre chose. Encore une fois c’est une question d’éducation. Si les parents oublient d’éduquer leurs enfants, il ne faut pas, hélas, compter sur l’école pour le faire. Le drame est là. Les discours au Parlement sont verbeux, sans attache avec la réalité et les drames que vit la femme dans une société qui refuse son émancipation et participe, comme dans le système colonial, à en faire un être dominé, un «serf» même si le mot n’est plus utilisé.