Essaouira est une ville chère à mon cœur pour plusieurs raisons et d’abord parce que ma mère y est née. Une partie de ma famille y vit encore. C’est mon arrière-grand-père qui a popularisé la marqueterie en bois de thuya caractéristique de l’artisanat local.
C’est pourquoi mon sang n’a fait qu’un tour quand mon ami Belaïd m’a alerté sur une indélicatesse récemment commise: on a débaptisé la rue du docteur Bouveret.
Qui est le docteur Bouveret? Né en 1878, il est arrivé à “Mogador“ en 1913, un an après le traité de Fès qui institua le Protectorat. Mais le bon docteur n’était pas un colon avide de s’enrichir sur le dos des indigènes, en faisant “suer le burnous”. Bien au contraire: jusqu’à sa mort en 1948, donc pendant plus de trois décennies, Charles Bouveret fut le médecin des pauvres et le médecin de tous, Souiris musulmans, juifs ou chrétiens, sans distinction. Il fonda deux hôpitaux, une clinique pour les tuberculeux, un service spécial pour les marins, etc.
Les caïds de la région apprirent à connaître cet homme dévoué, compétent, toujours disponible et ils lui facilitèrent la tâche. La médecine moderne fit son entrée à Essaouira, pour le plus grand bien de la population locale.
Si quelqu’un mérite d’avoir une rue à son nom à Essaouira, c’est bien cet homme intègre, ce bienfaiteur de l’humanité.
Mais non. Il s’est trouvé des élus locaux pour déboulonner sa plaque. Pourquoi?
Que veulent ces gens? Amputer le Maroc d’un pan de son passé? C’est absurde. On ne peut pas réécrire l’Histoire. Le vieux fond amazigh, la présence juive, l’arrivée des Arabes et de l’islam, les échanges avec l’Afrique subsaharienne, le Protectorat, tout cela a été, tout cela a laissé des traces, tout cela fait ce que nous sommes.
Pourquoi a-t-on débaptisé la rue du docteur Bouveret?
Ça me rappelle les photos de l’ancienne Union Soviétique, à l’époque de Staline, où la propagande gommait soigneusement des photos officielles les anciens dirigeants tombés en disgrâce.
Sauf qu’ici on ne comprend pas très bien quel crime a commis le bon docteur.
En tant que demi-souiri (par ma mère), je lance ici et maintenant la campagne: RENDEZ SA RUE AU DOCTEUR BOUVERET.
Ce ne serait que justice.