Depuis quelques jours, nous n’avons plus d’ambassadeur à La Haye. Le titulaire du poste (natif d’Al Hoceima, soit dit en passant), qui fait l’unanimité ici par son énergie, son intelligence et son humanité, a été rappelé en consultation par Rabat. Quand reviendra-t-il? Nul ne le sait. Espérons que ce ne sera pas aux calendes grecques.
Pourquoi ce coup de sang? Le Maroc reproche aux Pays-Bas de laisser traîner depuis des années une demande d’extradition à eux adressée en bonne et due forme et concernant un ressortissant marocain accusé de trafic de drogue mais qui reste libre de ses mouvements dans les rues d’Amsterdam.
Le langage diplomatique est codé. Quand on rappelle son ambassadeur en consultation, c’est qu’on est en colère contre le pays où ce dernier est en poste. L’étape suivante, c’est la rupture des relations diplomatiques. Cela met les maroco-néerlandais dans une situation un peu particulière. Nous sommes comme des enfants dont les parents sont en pleine scène de ménage. Les reproches fusent, les injures volent, les assiettes aussi, tous aux abris!
Faut-il prendre position? Méfions-nous des réactions épidermiques. Dans ce genre de situation, il faut surtout raison garder. Il faut analyser froidement, en partant des faits. Si on fait cela, on peut comprendre l’exaspération des Marocains devant l’attitude hostile de certains politicards ou journalistes bataves qui, n’arrivant pas à comprendre les subtilités du système constitutionnel marocain, le rejettent dans son entièreté. Il y a là une attitude qu’on pourrait nommer «l’injonction paradoxale néocolonialiste» –c’est un peu compliqué, mais ça dit bien ce que cela veut dire.
Voilà comment cela fonctionne. A: On exige des pays autrefois colonisés (c’est-à-dire à peu près toute la planète moins l’Europe) qu’ils se démocratisent, en particulier qu’ils mettent en place des institutions respectant la séparation des pouvoirs et garantissant les libertés publiques. B: On décrète dans le même temps que tout ce qui n’est pas européen est par essence corrompu, fourbe et stupide.
On voit bien la conséquence (ce pourquoi l’injonction est paradoxale). Vous pouvez essayer de construire un État moderne et des institutions solides chez vous, vu de l’autre côté vous restez bougnoule et compagnie. Cette attitude méprisante explique le refus d’examiner la demande d’extradition du bonhomme en question. Et une telle attitude n’est pas seulement le fait de certains hommes politiques, elle est également commune à nombre de journalistes et d’universitaires, qui mettront toujours les éructations du chauffeur de taxi mal luné qui les conduit à l’aéroport au-dessus de l’analyse du ministre surdiplômé qu’ils ont rencontré la veille à Rabat.
En feraient-ils de même s’il s’agissait de la Finlande ou de la Slovaquie ? Poser la question, c’est y répondre. Aussi, tout cela est de notre faute. Pourquoi ne sommes-nous pas Finlandais?