C’est une plaisante avenue, au centre d’Amsterdam, qui longe le zoo (on entend parfois un lion rugir, un zèbre hennir, un bison beugler...) et que fendent en son milieu les rails du tram. De part et d’autre de cette artère tranquille et distinguée, où n’habitent que des gens très chic, des rangées d’arbres offrent l’ombre de leur feuillage fourni au flâneur…
Vous m’interrompez :
- Eh oh, tu es stipendié par le bureau du tourisme? C’est quoi, ce début languissant de rédaction genre “bon élève de quatrième”? Ça va où ? On n’a pas que ça à faire, y a des Pokémons à capturer, les vaches à traire, la harira sur le feu…
Attendez, bande d’impatients, j’y arrive. Sur cette avenue, qui porte le fier nom de Plantage Middenlaan («plantage» dans le sens végétal du terme, c’est effectivement très feuillu) flotte, depuis près d’un an, le drapeau marocain. Voilà, ça vous en bouche un coin, non? Un grand drapeau rouge frappé de l’étoile verte semble apostropher le badaud qui, étonné, se demande si l’Empire chérifien a annexé la ville de Rembrandt et de Spinoza - dont un habitant sur dix, soit dit en passant, est d’origine marocaine, votre serviteur inclus.
Approchons-nous, c’est un immeuble élégant, approchons-nous davantage, une très belle porte, à la fois «authentique et moderne» (non, ce n’est pas une pub pour le PAM), laisse passer le regard par deux panneaux vitrés. Et que voit-on dans la pénombre, amis? Un rêve, un fantasme… On devine une fontaine digne de la cour de la Qarawyine, un plafond décoré comme celui du mausolée de Moulay Idriss, des zelliges délicats, des… enfin, bref, complétez vous-mêmes, vous voyez de quoi je parle. Des artisans sont venus du Maroc, il y a un an, sur des tapis volants de la RAM, ils ont transformé un vénérable édifice hollandais en palais marocain et ils sont repartis. Depuis, rien. Rien ! Le palais est fermé, le drapeau bourdonne par jour de grand vent et un vigile mélancolique veille sur l’absolue immobilité des choses. Comme j’habite à cinq minutes de cette belle au bois (de cèdre) dormant, je constate chaque jour que jamais rien ne s’y passe. On a envie de murmurer, comme le poète :
Que de fois, seul dans l’ombre à minuit demeuré
J’ai souri de la voir et plus souvent pleuré…
Souri parce que c’est un morceau de mon pays et pleuré car il est inaccessible. Maintenant, morts de curiosité, au bord de la crise de nerfs, vous hurlez :
- Mais, b… D… de b… D…, c’est quoi, ce truc ?
Eh bien, figurez que c’est Dar al Maghrib, notre centre culturel d’Amsterdam. Il est prêt depuis le passage de la comète et néanmoins clos, hermétiquement clos. Pourquoi ? Je n’en sais rien, je ne suis pas dans le secret des dieux. Pendant des mois, j’en ai souffert, de cette porte close sur laquelle je me casse le nez. Et puis je me suis résigné. D’une certaine façon, c’est très bien ainsi. C’est peut-être mieux. Nous autres MRE, nous vivons dans la nostalgie du pays natal. A travers la porte transparente, détail exquis, le pays s’offre et se refuse en même temps. C’est génialement pensé ! Il y a là de quoi nourrir notre mélancolie, l’aiguiser, l’orienter vers de plus fréquents retour au pays – c’est bon pour l’économie… Bravo aux jeunes technocrates qui ont imaginé, à Rabat, le concept de Maison du Maroc à la fois ouverte et fermée, hybride, ni tout à fait ceci, ni tout à fait cela. Est-ce le reflet de ce que nous sommes?