Il paraît que le doublage des séries télévisées en darija pose problème. Des projets de loi mûrissent dans les cabinets ministériels, quelques députés veulent en proposer une, forcément liberticide, la société civile, ou du moins une partie d’icelle, s’apprête à pousser les hauts cris. Quand on m’a informé de la chose, dans ma grotte de Jorf Lasfar où j’attends avec mes frères la nuit pour aller pêcher à la lanterne (une technique doukkalie dont vous ne saurez rien), je me suis réjoui: si c’est cela le plus urgent de nos problèmes, alors nous sommes un peuple heureux.
Les Vénézuéliens, assis sur une mer de pétrole, n’ont pas de quoi manger: ils doivent aller mendier dans les pays voisins. Voilà ce qui s’appelle un problème. Leur gouvernement est tellement nul qu’il a livré à la misère un pays qui, géré par des Allemands ou même par le conseil municipal d’El Jadida ressemblerait à la Suisse, tant il déborde de ressources. (Ce qui n’empêche pas l’ambassadeur de ce pays failli de nous chercher des noises à l’ONU au lieu d’aller se cacher, le butor, mort de honte, ou de changer carrément de nationalité ; mais bon, c’est une autre histoire.)
Les Argentins ont un million de kilomètres carrés de plaines fertiles, une population éduquée, une infrastructure routière adéquate, ils sont auto-suffisants en énergie et pourtant ils souffrent de pénuries diverses. Voilà des soucis à prendre au sérieux. Et ne parlons pas du Nigéria, dont 25% des enfants ne vont pas à l’école à cause de l’impéritie du gouvernement, ne parlons pas de l’Afrique du Sud où la violence règne, et encore moins des pays qui ont disparu corps et biens, comme la Somalie et quelques autres contrées africaines dont nous tairons le nom pour ne pas nous faire des ennemis, fussent-ils fantomatiques, maintenant que nous allons de nouveau siéger au machin continental, la Désunion… pardon, l’Union africaine. (Enfin, c’est ce qui se murmure au-dessus de ma grotte, des passants indiscrets… On verra bien.)
Et nous, quel est le problème qui nous agite: ad-doublâj! Je le répète: si c’est ça, notre grande querelle, alors tout va bien. Vous me dites :
- Sors de ta grotte, le poisson n’est pas encore arrivé, et dis-nous ce que tu en penses, si t’es un homme!
Ce que j’en pense? Eh bien, amie lectrice, ami lecteur, j’adore le doublage dans toutes les langues! J’aime entendre Carlos et Isabella, vautrés devant la piscine de leur hacienda, discuter dans un arabe classique plus châtié que celui de Moutanabbi (je note sur un petit calepin les mots rares que je ne connais pas). J’adore les entendre, sur une autre chaîne, se disputer en darija comme des chiffonniers du Hay Mohammadi. Je serais au comble de la joie si la belle Cristina larguait l’ignoble Paulo dans le tachelhit de ma grand-mère maternelle, avec force ouhou au lieu de lâ’ et kallâ’! J’attends avec impatience le jour où la vaporeuse Gabriella déclarera sa flamme à Diego en tarifit – avec l’accent de Nador, s’il vous plaît, c’est celui que je préfère, l’aéroport du coin porte le nom de ma famille, du côté paternel, qui vivait là avant d’aller s’installer à Azemmour il y a deux siècles.
Voici donc une modeste proposition que je vous soumets, amis, et si vous l’approuvez, faites-la circuler dans les réseaux sociaux. Soyons un million à exiger du Parlement la loi suivante, dite qanûn ad-doublâj: toutes les séries télévisées importées de l’étranger doivent être doublées dans toutes les langues officielles, semi-officielles, usuelles, clandestines ou vernaculaires de l’Empire chérifien, à savoir: arabe classique, arabe littéraire simplifié, darija, tachelhit, tamazight, tarifit, hassani, ladino, français, etc.
Les chaînes proposeraient toutes ces variantes (il y aurait un menu, la télécommande ferait le reste) et chacun ferait son choix, librement et démocratiquement. C’est ce qui s’appelle le libéralisme, qui est l’option choisie par notre pays depuis des lustres. Pourquoi ad-doublâj constituerait-il une exception à ce principe ?