Le 13 décembre 2003 –il y a près de deux décennies…–, le ministère espagnol du Développement annonça que le projet de tunnel sous-marin reliant l’Espagne et le Maroc allait bientôt se concrétiser. Vamos!
Quelques jours avant, très précisément le 2 décembre, mon camarade Karim Ghellab –qui était à l’époque ministre de l’Equipement et du Transport– et son homologue espagnol Francisco Alvarez-Cascos Fernández avaient mis 27 millions d’euros sur la table pour entamer les études techniques. L’ouvrage, dont le budget total était de trois milliards d’euros, devait relier Punta Palomas, près de Tarifa, à Punta Malabata, à Tanger– d’une pointe à l’autre, en somme. Le chantier proprement dit devait démarrer en 2008. Les casques et les pioches furent commandés, ainsi que quelques food trucks pour nourrir les (futurs) ouvriers.
Or dites-moi, amis lecteurs: quand avez-vous emprunté ce tunnel pour la dernière fois?
Vous me répondez: euh… quel tunnel?
Le fait est qu’il n’est toujours pas là.
Allez faire un tour à Punta Malabata: on n’y voit que le soleil qui poudroie et l’Espagne qui verdoie… Au loin.
Revenons au temps présent. Au cours des dernières semaines, on a assisté à une spectaculaire réconciliation entre les hidalgos et nous, puisqu'ils se sont alignés sur nos thèses. Ce succès éclatant de notre diplomatie, on ne va pas le bouder: bravo, très sincèrement bravo!
Dans la foulée, on s’est remis à parler du tunnel sous le Détroit. Un vrai serpent de mer…
Bon, reality check, les amis, soyons sérieux: de tunnel il n’y aura point et de pont encore moins, parce qu’il y a un blocage psychologique énorme dans la tête de la plupart des Européens –et de nos amis ibères au premier chef. L’idée d’une continuité territoriale entre l’Europe et l’Afrique leur donne des sueurs froides, pour ne pas dire des cauchemars. L’Afrique, c’est l’islam; c’est des centaines de millions de jeunes qui ne rêvent que de «la saison de la migration vers le Nord», comme disait Tayeb Salah; ce sont des cultures vues comme incompatibles avec les fameuses valeurs européennes. Dans ces conditions, disent-ils in petto, est-il bien raisonnable de combler ce bras de mer providentiel qui nous sépare?
A vrai dire, le projet est ancien: on en parlait déjà dans les années 80 du siècle dernier. Un de nos commis d’Etat parmi les plus chevronnés –un grand monsieur– m’a fait un jour une confidence révélatrice. Au moment même où il tentait de définir le trajet du tunnel, il y a plus de trente ans, avec d’autres ingénieurs marocains, certains de leurs interlocuteurs européens ou américains leur disaient, pendant les pauses, une tasse de café à la main: «à vrai dire, messieurs, nous labourons la mer: aucun homme politique espagnol n’osera signer le document qui assurera de façon irréversible la réalisation de ce beau rêve. Il restera toujours en l’état de projet. Mais ça ne nous empêche pas de travailler, non? Nous sommes payés pour ça. Au boulot!»
Désolé pour la douche froide. Mais tout n’est pas perdu: consolons-nous en pensant que grâce à la tectonique des plaques, le continent africain remonte vers l’Europe à la vitesse de 2 centimètres par an. Lentement mais sûrement.
Il n'est donc nul besoin de tunnel ni de pont: il suffit d’attendre que la tectonique –merci, Wegener– nous réunisse définitivement avec l’Espagne. Holà, Al-Andalus! Surprise! Nous revoilà! Où est l’Alhambra?
Au rythme où tout cela se déroule, il nous suffit d’attendre 700.000 ans (1 400 000 cm divisés par 2) pour toucher Terre –ou plutôt Tarifa.
Il suffit d’être patient, en somme.
Et la patience, as-sabr, n’est-elle pas la vertu cardinale du Marocain?