Il y a en anglais une expression à la fois drôle et exacte pour caractériser le comportement de ceux qui prennent des décisions contraires à leurs propres intérêts. On dit alors “it’s like a turkey voting for Christmas“ –c’est comme si une dinde votait pour Noël.
Votre prof’ d’anglais vous dira que cette phrase fut utilisée pour la première fois en 1977 par l’homme politique David Penhaligon, membre du Liberal Party, à propos d’un éventuel pacte entre son parti et le Labour –un pacte qu’il considérait comme menant à la ruine définitive des libéraux.
Vous direz à votre prof’ que c’est à la fois vrai et faux. Penhaligon a bien inventé la boutade mais cet homme cultivé faisait référence à un texte datant de plus d’un siècle dans lequel le philosophe Bertrand Russel expliquait ainsi les dangers du raisonnement par induction: les dindes, nourries chaque jour par le fermier, en déduisent que ce sympathique bienfaiteur des gallinacés prendra toujours soin d’elles, ad vitam aeternam– et puis arrive la veille de Noël et le fermier apparaît dans l’embrasure de la porte, une hache à la main, plus du tout sympathique…
Vous vous demandez peut-être où je veux en venir avec mes dindes, le Liberal Party et l’ami Russel.
Eh bien, je veux juste exprimer mon étonnement devant quelque chose de paradoxal qui s’est produit dimanche dernier. Marine Le Pen a réalisé ses meilleurs scores en Guadeloupe (70%), à la Martinique (61%) et à Mayotte la musulmane (59%). Des Français noirs ou “colorés“ qui votent en masse pour un parti qui n’arrive pas à se débarrasser de son tropisme raciste et xénophobe, c’est quand même troublant. Des Musulman(e)s qui votent pour quelqu’un qui veut interdire le port du voile dans la rue, c’est ahurissant.
D’où l’analogie avec les dindes et leur enthousiasme pour une fête dont elles seront les premières victimes.
Mais tout s’explique –et l’analogie prend vraiment son sens– quand on s’aperçoit que l’extrême-droite a désormais tendance à se transformer en Père Noël à l’approche des élections –l’extrême-gauche aussi, d’ailleurs, et c’est pourquoi Mélenchon était en tête au premier tour dans ces mêmes contrées, Guadeloupe, Martinique, Mayotte, etc. En somme, baba Nouïl a juste changé de sexe entre les deux tours. La mère Noël a promis des cadeaux à n’en plus finir. On augmentera les salaires, on réduira les impôts, on supprimera la TVA sur cent produits, etc. Demain, on rase gratis.
On appelle ça “être le candidat du pouvoir d’achat“. Ah! Qu’en termes galants ces choses-là sont mises! En réalité, il s’agit de mentir effrontément en promettant la Lune. Pendant le fameux débat de l’entre-deux-tours, la mère Noël a d’ailleurs déclaré avec aplomb “j’augmenterai les salaires de 10%!“ avant que Macron ne lui fasse remarquer benoîtement que ce sont les entreprises qui fixent les salaires et non le Président de la République…
Bien sûr, on comprend le désarroi de ceux pour qui la vie quotidienne est difficile et qui ont l’impression qu’elle l’est de plus en plus. On conçoit qu’ils aient envie de croire à n’importe quelle promesse. Mais méfions-nous. Le père Noël n’existe pas. Ceux qui se font passer pour tels ne veulent qu’une seule chose: arriver au pouvoir.
Et ce sera alors la fin des haricots pour les dindes que nous sommes.