Lundi dernier, j’ai regardé le match al-Ittihad vs. al-Hilal pour voir si Hamdallah allait encore marquer –hélas, non, malgré deux belles occasions, notre canonnier exilé en Arabie Saoudite rentra bredouille au vestiaire. Je fis l’erreur de ne pas changer de chaîne immédiatement après le coup de sifflet final et c’est ainsi que j’entendis cette perle sécrétée par un fan du Hilal:
– Nous devons cette victoire à Dieu et à Dieu seul!
Ah bon? Les joueurs, l’entraîneur, le staff technique n’y sont pour rien? Alors, à quoi ils servent? Et pourquoi les paie-t-on si cher?
Soyons sérieux. Pourquoi mêler Dieu à un banal match de foot? Et pourquoi choisirait-il entre al-Ittihad et al-Hilal, deux clubs “musulmans“? De même, les très catholiques Uruguayens, quand ils battent l’Argentine et multiplient les signes de croix pour remercier Dieu et le petit Jésus –ils étaient treize sur le terrain?–, on a envie de leur rappeler que le pape, chef de l’Église, est Argentin…
Tant de bêtise m’irrite profondément. Un boxeur casse la gu… à son adversaire, qu’il envoie en sang à l’hôpital, et il fait moultes génuflexions sur le ring pour remercier Dieu? De quoi, précisément? De l’avoir aidé à massacrer un autre être humain? Comment ne pas voir l'obscénité de cette obsession: mêler Dieu à tout, partout, même à ce qu’il y a de plus minable?
Ça m’a rappelé quelque chose.
Il y a quelques années, très précisément en septembre 2007, un Américain du nom d’Ernie Chambers avait porté plainte, officiellement, contre… Dieu. Et ne croyez pas qu’il s’agissait d’un farfelu ou d’un détraqué: né en 1937, Chambers était un homme politique, un élu local, sénateur de l’État du Nebraska –il y a d’ailleurs siégé pendant quarante-six ans, un record.
Que reprochait donc Chambers à l’Être suprême? Eh bien, tout ce qui affligeait régulièrement son État: inondations, sécheresses, séismes, ouragans… Et il conclut sa plainte ainsi: “Cela fait des siècles que Dieu terrorise l’humanité. Il est temps pour Lui de se justifier dans un procès équitable.”
Le district attorney qui reçut la plainte demanda à l’ami Ernie s’il savait où se trouvait Dieu pour qu’on pût lui notifier par courrier recommandé qu’un pèlerin lui cherchait noise.
– Pas besoin de lui dire quoi que ce soit, répliqua hautement mister Chambers. Il est omniscient, n’est-ce pas? Il est donc déjà au courant.
Le juge qui fut désigné pour traiter l’affaire objecta que la procédure ne pouvait être enclenchée que si le félon présumé se trouvait au Nebraska.
– Dieu est partout, rétorqua le mauvais coucheur, c’est ce que nous dit la Bible. Il est donc aussi dans les parages. Et il sera présent dans la salle, le jour venu, believe you me.
Horrifiée, l’Église locale, la Westboro Baptist Church, adressa une lettre au juge contenant deux arguments: a) l’histoire biblique de Job (sidna Ayyoub pour les musulmans) nous enseigne qu’un être humain n’a pas le droit de se plaindre de son sort en invoquant la responsabilité de Dieu; et b) Ernie Chambers, ce pelé, ce galeux, méritait de toutes façons tous les malheurs du monde.
En octobre 2008, la plainte fut déclarée juridiquement irrecevable pour la raison suivante: bien que Dieu soit omniscient, comme l’avait fait remarquer le plaignant, il était quand même nécessaire d’avoir son adresse postale pour lui envoyer officiellement la notification; sans cela, la procédure aurait été invalide. Or tous les théologiens consultés avaient été unanimes: Dieu ne possède pas de boîte aux lettres en ce bas-monde. L’US Postal Office, appelé au 1-800-275-8777, avait confirmé: Dieu, à la différence du Père Noël, ne faisait pas partie de ses usagers.
Je me suis donc souvenu de cette étrange affaire après avoir entendu le benêt du Hilal braire que “nous devons cette victoire à Dieu et à Dieu seul!”
Quelle différence entre lui et Ernie Chambers? Il n’y en a aucune, au fond, si on réfléchit bien. L’un remercie Dieu à tout propos, même pour un rot particulièrement réussi, et l’autre veut le traduire en justice: tous les deux le mêlent donc à nos banales péripéties. Ils en font un personnage capricieux, velléitaire, un peu louche parce que partie prenante de la comédie humaine. Ils l’abaissent. Ils le profanent.
Combien plus intelligente est l’attitude d’un Ibn Sina ou d’un Ibn Roshd qui le laissent loin là-haut dans les cieux et ne le mêlent pas à ce qu’ils appellent “les particuliers“ –et quoi de plus particulier qu’un trivial match de foot, qu’un tribunal du Nebraska, qu’un tripatouillage, qu’un étripage sur un ring?
On a envie de dire au Saoudien du Hilal et à l’Américain du Nebraska: pour l’amour de Dieu, fichez-Lui la paix!