C’est un ami qui m’a raconté cette histoire. Il avait donné à sa classe, à l’école, des crayons et du papier et demandé aux enfants de dessiner ce qui leur passait par la tête. Toutes les chères petites têtes brunes s’étaient penchées sur les feuilles de papier et allez donc! ça crayonnait dans tous les sens, chacun sérieux comme un pape miniature.
Mon ami (appelons-le Abdou) passait discrètement dans les rangs pour jeter un coup d’œil sur l’état d’avancement des travaux.
«Je voyais bien, raconte Abdou, que tous ces petits moutards s’efforçaient de dessiner une face humaine. Et il était évident qu’il s’agissait soit de papa– la barbe est irréfutable– soit de maman– longue chevelure qu’aucun shampooing n’avait réussi à dompter. Tout cela était attendrissant. Cependant, une petite fille, Miriam, m’intrigua. Elle semblait faire de grands gribouillis qui ne ressemblaient à rien. Je finis pas lui demander ce qu’elle dessinait.
– Je dessine Dieu, me répondit-elle avec le plus grand sérieux.
Étonné, je continuai ma ronde. Au bout de quelques instants, mes pas me ramenèrent vers la petite Miriam. Toujours ces étranges gribouillis. Je ne dis rien. Au bout de mon troisième passage, je finis pas lui dire:
– Mais, ma petite Miriam, ne devrais-tu pas choisir un autre sujet? Personne ne sait à quoi ressemble Dieu.
L’enfant leva vers moi ses grands yeux clairs et d’une voix fluette mais décidée m’asséna:
– Si vous ne m’interrompiez pas tout le temps, j’aurais déjà fini mon dessin et tout le monde saurait à quoi Dieu ressemble!
Estomaqué, je passai mon chemin puis je fus pris d’une sorte de fou rire intérieur que j’eus du mal à réprimer.»
Il s’interrompit, songeur. Un ange passa.
«Et puis, le soir venu, alors que j’étais affalé dans mon sofa, à la maison, à regarder un reportage sur les guerres du Proche-Orient, je me fis soudain la réflexion suivante: la petite Miriam était adorable dans sa naïveté d’enfant mais au fond, tous les malheurs du monde, toutes ces guerres de religion, tous ces massacres, tout cela n’est-il pas le résultat navrant de la même ambition portée cette fois par des adultes? Chacun prétend montrer aux autres à quoi Dieu ressemble, ce qu’il est, ce qu’il veut. Qu’en sait-il, au fond? Et il est prêt à les tuer s’ils restent sceptiques en regardant ses gribouillis...»
Méditons ensemble, amis lecteurs, cette profonde réflexion de mon ami Abdou et votons une bise unanime à la petite Miriam, qui lui a ouvert les yeux.