On apprend avec perplexité que la finance islamique vient de faire ses premiers pas dans notre bel Empire chérifien.
Ayant enseigné les sciences économiques pendant une bonne dizaine d’années, c’est vers moi que se tournent certains de mes amis quand ils veulent en savoir plus sur la banque islamique. Eh bien, allons-y, penchons-nous sur la question. Bla, bla, bla, moudaraba, mousharaka, mourabaha, ijara… Au bout d’une dizaine de minutes, la confusion est à son comble. C’est là que j’ai envie de leur dire: «vous ne voudriez pas plutôt qu’on parle de physique quantique? L’équation de Schrodinger ou les diagrammes de Feynman me semblent plus faciles à expliquer que la finance halal.»
Notez– je n’ai pas envie de me morfler une fatwa à travers la tronche– que nous ne parlons pas ici de l’islam, noble et belle religion comme chacun sait, mais de ce que les hommes, ces benêts bas du front, font de certaines de ses prescriptions: une bouillie indigeste. Quel besoin, grands dieux, avaient-ils besoin de créer cette usine à gaz de finance soi-disant islamique? L’intérêt est prohibé? D’accord, mais il l’est également par la Bible et, effectivement, l’Eglise l’a interdit pendant des siècles: seuls les Juifs avaient le droit de prêter avec intérêt (voir le Shylock de Shakespeare dans Le marchand de Venise), ce qui leur joua inévitablement de sales tours (on déclencha parfois d’horribles pogromes contre eux pour ne pas avoir à les rembourser…). Mais l’Eglise finit par se rendre compte que tout cela était absurde. Ce qu’il fallait interdire, c’était l’usure, c’est-à-dire l’excès (et nous voilà revenus à une idée fondamentale d’Aristote, qui précéda aussi bien le christianisme que l’islam et qui affirmait qu’en toutes choses c’est l’excès qui est néfaste).
L’usure, c’est demander des taux d’intérêt exorbitants, plus de 20% par exemple. Aujourd’hui, même la banque du Vatican utilise sans complexe l’intérêt. Sommes-nous moins intelligents que nos amis chrétiens? Ne sommes-nous pas capables de produire un petit Ijtihad qui expliquerait que ce n’est pas l’intérêt en tant que tel qui est mauvais, mais l’usure? Où sont les muftis quand on a vraiment besoin d’eux? Au lieu de se préoccuper de la longueur des jupes et des barbes, que ne nous pondent-ils une fatwa autorisant la banque classique du moment qu’elle pratique l’intérêt “normal“ et non l’usure? Il suffirait de redéfinir le mot ‘riba’ comme “usure“ et non comme intérêt. Le fameux verset coranique II, 275, sur lequel se basent toutes ces élucubrations, se lirait alors ainsi: «Dieu a permis le commerce et interdit l’usure.» Franchement, messieurs les imams, je vous mâche le travail…
Pour finir, voici ce que m’a écrit la semaine dernière une personne de ma famille: «Une femme portant foulard m’a affirmé hier que la banque islamique était une arnaque. Elle voulait acheter un appartement. Or son mari ne voulait pas entendre parler d'un prêt auprès d'une banque classique –a’oudou billah ! Quand elle se renseigna sur le prêt islamique (d'ailleurs fourni par les banques classiques qui ont trouvé là un marché juteux), elle se rendit compte qu'elle allait payer au total beaucoup plus cher. Il y a donc bien des intérêts quelque part. En plus, s’il lui arrive quelque chose, c'est la banque qui récupère le bien et non les héritiers comme dans un emprunt classique (où il y a une assurance). Elle s'est empressée d'aller contracter un emprunt classique…»
Hein, pardon, qu’est-ce que vous dites? Vous n’avez rien compris? Vous préférez parler de physique quantique? OK, allons-y…