On apprend avec stupeur que des chercheurs japonais travaillent à la mise au point d’un téléphone portable pour les chiens et pour les chats. L’idée est simple: le matou vagabond, ainsi équipé, pourra recevoir en temps voulu le psss psss! de son maître (ou de sa maîtresse) et revenir dare-dare dévorer sa pâtée. On peut bien sûr imaginer d’autres applications. Les souris traquées par GPS et signalées au chat? Celui-ci à son tour mouchardé électroniquement au chien? Tom et Jerry pendus au téléphone? Une app “chater avec le chat’’?
(Remarquez que la phrase précédente, qui semble être du français correct, aurait été rigoureusement incompréhensible il y a moins de vingt ans. La technique s’emballe, les langues évoluent, tant pis pour celles qui ne le peuvent pas…)
On ne sait pas encore s’il est prévu que l’animal puisse réagir. Espérons que ce sera le cas. Des milliards de dollars investis dans les mâts, les fibres optiques et les satellites pour transporter quelques miaulements, ce serait une belle fin pour la science moderne. Adieu à la raison d’Ibn Roshd, de Descartes et de Newton! On entre de pleine patte dans le millénaire des quadrupèdes. Le prochain sera peut-être celui des millepattes. On aura oublié depuis longtemps le bipède qui ne sut pas préserver sa planète.
Tout cela constitue bien sûr un scandale de premier ordre. Nous vivons déjà sous la tyrannie des “chérie, je suis dans le train” intempestifs qui ont supprimé la douce rêverie d’antan rythmée par le bruit des traverses et le sifflet mélancolique de la locomotive. Faudra-t-il bientôt faire face à des “psss, minou-minou” surgissant de sous la banquette ou du porte-bagage? Plus moyen d’échapper à la rumeur du monde. Du monde animal.
On aurait tort de prendre tout cela à la légère. Il s’agit en fait d’une cruelle leçon d’économie. Tout le monde étant équipé de tout, il faut sans cesse créer de nouveaux marchés. Ce qui prouve que l’Occident, ou du moins sa partie solvable, est désormais trop riche. On en est à imaginer les innovations les plus aberrantes. Sony produit déjà un chien-robot. Le chat virtuel, son téléphone portable, son collier fantôme arrivent. La combinaison étanche pour le poisson rouge, les freins de sécurité pour la tortue, pourquoi pas? Le ridicule ne tue que s’il ne rapporte rien. L’important, c’est que l’argent circule.
Bien sûr, on ferait mieux de le faire circuler du côté d’hommes bien réels qui en ont plus besoin que nos amies les bêtes ou nos ennemis les robots. Mais le libéralisme économique est sans pitié. Entre Minou et le Mali, le choix est simple. Qui a le pouvoir d’achat? Le chat!