Le bras de fer entre les chancelleries occidentales et Moscou pose la question des fortes dépendances, notamment énergétiques, rendues possibles par la mondialisation. L’accès à une énergie à faible coût est un facteur de compétitivité majeure, et la signature de contrat à long terme avec un fournisseur fiable représente la garantie d’obtenir des coûts faibles qui échappent à la très forte volatilité des marchés spot.
Ce fut là toute la stratégie de l’ancien chancelier Gérard Schröder, qui opéra un rapprochement économique et énergétique avec Moscou, à une époque où Berlin avait une relative autonomie vis-à-vis de Washington.
Cependant, il arrive des fois que les rivalités géopolitiques contredisent les intérêts économiques d’un Etat ou d’un bloc économique, jusqu’au point d’accepter de subir de grandes pertes économiques en vue d’atteindre une autonomie stratégique. Un jeu d’équilibriste très périlleux pour l’Europe qui risque d’aboutir à une situation où les Etats européens n’auront ni la compétitivité, ni l’autonomie stratégique, du fait d’une vassalisation de plus en plus forte vis-à-vis des Etats-Unis.
Mais qu’en est-il du Maroc?
Dans une perspective autant de renforcement de sa souveraineté énergétique que de préservation de ses réserves de change, le Maroc a fait le choix de la diversification énergétique en accordant une place centrale aux énergies renouvelables, principalement le solaire.
L’objectif est d’atteindre 52% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique à l’horizon 2025. Le reste sera produit par des énergies fossiles, principalement le gaz et l’hydroélectrique.
Cependant, personne à l’époque ne pouvait prévoir la situation actuelle, dont la guerre énergétique qui se joue actuellement entre l’Occident et la Russie.
La nouvelle réalité géopolitique impose au Maroc de chercher ailleurs cette souveraineté qu’il est désormais impossible de trouver dans les énergies fossiles.
Dans ce nouveau contexte, l’idée de recourir à l’énergie nucléaire à travers la construction de plusieurs centrales nucléaires s’impose de plus en plus dans le débat.
Avant de peser le pour et le contre d’une telle stratégie, définissons le plus simplement possible ce qu’est une centrale nucléaire.
Au fond, il s’agit ni plus ni moins d’une centrale thermique, à la différence que la chaleur qui sert à produire la vapeur est générée par une fission nucléaire controlée, grâce à de l’uranium enrichi.
Les avantages de ce type d’énergie sont nombreux.
Premièrement, il s’agit de l’une des sources d’énergie les moins coûteuses, si l’on fait abstraction du coût de construction de la centrale elle-même.
L’uranium 235 ne coûte relativement pas cher si on le rapporte à l’énergie qu’il permet de produire. Dans une logique de ratio, il est infiniment plus rentable que les énergies fossiles.
Deuxièmement, c’est l’une des énergies les moins polluantes du point de vue des émissions de CO2.
De plus, la durée de vie d’une centrale nucléaire est de 40-50 ans en moyenne. Mais avec un entretien adéquat, elle peut durer plus longtemps.
Enfin, certains types de réacteurs comme le RBMK russe, en plus de générer de l’énergie pour produire de l’électricité, permettent également d’obtenir de manière résiduelle du plutonium, qui peut être utilisé dans un cadre militaire, ou revendu à un autre pays.
Ça, c’est pour les avantages.
Les inconvénients sont également nombreux.
Car s’il s’agit bien d’une technologie non polluante en CO2, elle génère cependant des déchets radioactifs, de l’uranium appauvri, qui, jusqu’à présent, est généralement enfoui sous terre. C’est ce qu’on appelle un confinement géologique. Cela n’est pas sans coûts, de sécurisation et de gestion à long terme de ces déchets qui demeurent radioactifs.
Deuxièmement, les facteurs humain, technologique et géologique, comme facteurs de risque. La centrale la plus sûre de monde peut être l’objet d’une surchauffe du réacteur, avec tous les risques d’accidents majeurs comme à Tchernobyl ou à Fukushima. Le mauvais entretien, un tremblement de terre, un tsunami ou une défaillance technique peut accroître ce risque, même si celui-ci demeure minime.
Troisièmement, la vulnérabilité stratégique en cas de conflits de forte intensité. La station nucléaire peut être une cible privilégiée dans un contexte de guerre, en vue de priver le pays d’une source majeure d’électricité, mais également en vue de créer une catastrophe nucléaire majeure.
Quatrièmement, la rareté de l’uranium et la dépendance technologique. Car oui, l’uranium 235 est extrêmement rare dans l'ensemble de la croûte terrestre et est réparti de manière inégale sur la planète. Les principaux producteurs sont le Kazakhstan, le Canada, l’Australie, la Namibie et la Russie.
Sur les 10 principales mines d’uranium dans le monde, le Kazakhstan en possède 4, exploitées pour certaines par des entreprises possédées par les Russes.
Deuxièmement, l’uranium 235 issu des mines ne peut être utilisé tel quel dans les centrales nucléaires. Il doit d’abord être enrichi. Là encore, seuls quelques pays maîtrisent cette technologie à grande échelle. La Russie, à elle seule, représente 44% des capacités d’enrichissement de l’uranium à l’échelle mondiale. La France en détient 12,8%, l’entreprise USEC (Etats-Unis, Royaume-Uni, Pays-Bas et Allemagne) 32,6%, et la Chine 8,8%.
Leurs capacités n’étant pas suffisantes pour servir toutes leurs centrales, les Etats-Unis importent jusqu’à présent de la Russie de l’uranium enrichi, et ce, malgré le bras de fer entre les deux pays.
Ainsi, le Maroc à son tour dépendra d’un pays étranger pour son uranium enrichi. Car, je le rappelle encore une fois, ce n’est pas tant l’uranium 235 naturel qui est le plus problématique, mais c’est son enrichissement qui l’est.
Il en résulte que si le Maroc décide de construire des centrales nucléaires, ces dernières se devront de faire partie d’un mix énergétique plus large, et ne prendre en aucun cas une place prépondérante, au risque de passer d’une dépendance à une autre.
Quant à la construction des centrales nucléaires, étant incapables de le faire nous-mêmes pour des raisons de retard et de non-maîtrise technologique, nous serons amenés à nous tourner vers un nombre très limité de pays.
Il s’agit principalement de la France, la Russie, les Etats-Unis, le Canada, la Corée du Sud, le Japon et la Chine. Un vrai casse-tête géopolitique, mais qui mériterait un développement à part.