Il y a quelques semaines, la Banque Populaire (BCP) a émis pour la première fois, avec l’accompagnement de l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) et Maroclear, des obligations sur blockchain dans le cadre d’une levée de fonds de 100 millions de dirhams. Une première au Maroc qui semble en annoncer d’autres à venir.
Mais tout d’abord, n’étant pas tous des férus des technologies digitales, il est légitime de se poser la question suivante: qu’est-ce que la blockchain et à quoi ça sert?
Nous allons tenter d’y répondre le plus clairement et brièvement possible. Celles ou ceux qui voudraient plus de détails, notamment sur l’aspect technique, peuvent s’orienter vers les centaines de vidéos explicatives présentes sur le net.
La blockchain est avant tout une base de données décentralisée, désintermédiée et cryptée.
En plus d’être publique et accessible à tous, elle garde une trace ou une sorte d’empreinte digitale de toutes les transactions effectuées. Cependant, les personnes à l'origine de ces transactions demeurent anonymes.
Ce système intégralement informatisé permet de contourner la nécessité d’un tiers de confiance (banque, notaire, etc.) pour réaliser une transaction (achat, vente, transfert de valeur, etc.).
Ainsi, vous pouvez envoyer une somme de 1.000 DH à quelqu’un sans passer par une banque et les frais inhérents, ou acheter ou vendre un bien sans passer par le notaire. Etant humain, un notaire est corruptible, la blockchain ne l’est pas.
Cette base de données est constituée de blocs contenant plusieurs centaines de transactions inscrites de manière indélébile et qui viennent s’ajouter à d’autres blocs, formant ainsi une chaîne de blocs, soit la blockchain.
La puissance de calcul nécessaire pour la blockchain est mise à disposition du réseau par des individus et des entreprises à travers des ordinateurs puissants. On les appelle les «mineurs».
Quant à la reine des cryptomonnaies, le Bitcoin, c'est tout simplement un protocole monétaire original utilisant le système de la blockchain.
Mais par-delà le privé qui, souvent, est à l’avant-garde des nouvelles technologies, l’Etat pourrait-il faire bon usage de cette technologie au service des citoyens?
La réponse est oui. L’un des secteurs d’application qui en aurait le plus besoin est celui du foncier. Car une mafia au sens littéral, celle de la spoliation immobilière, est déployée de manière tentaculaire dans différentes strates (administration, justice, notaires, élus locaux, etc.).
On se souvient tous de la lettre adressée par Sa Majesté le Roi en 2016 au ministre de la Justice de l’époque, Mustapha Ramid, appelant les autorités à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à ce fléau, celui de la spoliation immobilière.
Depuis, beaucoup de choses ont été faites de manière formelle: commission interministérielle, discussions autour d’une réforme des textes de loi, etc.
Mais sur le terrain, les citoyens victimes de ces méfaits, dont beaucoup de MRE qui constituent des proies faciles, continuent de souffrir en silence. Les dossiers de plaintes s’accumulent, et l’impunité semble avoir encore de beaux jours devant elle.
De plus, il me semble utile de rappeler que l’article 2 de la loi 39/8 constitue le meilleur allié de cette mafia. Celui-ci limite à quatre ans la recevabilité d’une plainte en cas de spoliation de votre bien immobilier. Ainsi, si par malheur vous considérez que votre bien acquis à la sueur de votre front l’est pour toujours, vous vous trompez lourdement.
Le droit de propriété, qui est considéré comme sacré dans une économie de marché, devient l’objet d’une angoisse permanente, celle de citoyens devant vérifier systématiquement tous les quatre ans si leur maison est toujours la leur, en payant au passage à chaque fois 100 DH pour le savoir. Beaucoup de victimes, même en se rendant compte avant ces quatre années que leur bien a été spolié, ont toujours du mal à faire valoir et à recouvrer leurs droits.
Mais que vient faire la blockchain dans tout ça?
Eh bien, elle pourrait permettre de résoudre le problème à la racine. Car ces crimes ne peuvent aucunement exister sans la défaillance du tiers de confiance. Car pour spolier un bien, il faut nécessairement des notaires, des fonctionnaires, des juges, des greffiers et des élus locaux corrompus, qui peuvent par la suite tout faire pour bloquer ou saboter une éventuelle enquête.
Le procédé qui permet de recourir à la technologie de la blockchain pour des actifs réels, en l’occurrence des biens immobiliers, s’appelle la «tokenisation».
Celle-ci permet de faire passer la propriété d’un bien réel sur la blockchain, et de garder de manière incorruptible toutes les différentes transactions portant sur ce dernier.
Un bien immobilier peut par exemple être tokenisé de manière indivise, c'est-à-dire qu’un token exprime la propriété de tout le bien, comme il peut être divisé en plusieurs tokens, donnant lieu à une propriété collective. Cette dernière possibilité pourrait être extrêmement intéressante pour le secteur de l’immobilier puisqu’elle accroît la liquidité sur ce marché, notamment pour le développement de projets à rendement locatif.
A titre d’exemple, si un appartement coûte 1 million DH et que sa propriété est tokenisée en 100 parts, soit des tokens de 10.000 DH, je peux, avec tout simplement 20.000 DH, devenir actionnaire de ce bien en achetant deux tokens. Ensuite, l’agence immobilière qui gérera ce bien versera à la fin de chaque mois les parts correspondantes à chaque propriétaire de tokens, après avoir soustrait les frais de gestion et d’entretien du bien.
Pour le dire plus simplement, la tokenisation permet de transformer tout bien réel en entreprise avec plusieurs actionnaires, en faisant l’économie des actes notariés et des procédures interminables et coûteuses qui prévalent actuellement.
Mais le plus important ici est que grâce à la technologie de la blockchain, votre bien immobilier est définitivement sanctuarisé. Car tous les membres du réseau ont la preuve que votre bien est bien le vôtre.
De ce point de vue, cette technologie, qui existe déjà de manière embryonnaire aux Etats-Unis, prend la forme d’un registre foncier ou d’un cadastre incorruptible, décentralisé et désintermédié. De quoi mettre hors service les mafias citées précédemment.
Mais là se pose la question de l’impôt. Puisque, comme nous l’avons rappelé précédemment, la blockchain garde effectivement la trace de toutes les transactions réalisées, mais elle préserve l’anonymat des membres du réseau. L'Etat ne pourra donc pas savoir qui a vendu à qui, et qui doit quoi au Trésor.
La solution réside dans la nécessité d’une nouvelle législation, qui pourrait imposer le fait que la tokenisation d’un bien immobilier divisible ou indivisible devra se faire digitalement, à travers des plateformes numériques mises à disposition par l’Etat, afin de pouvoir collecter toutes les informations sur les acquéreurs des tokens, et sur la valeur et la nature de la transaction. Mais étant garanti par le système de la blockchain, aucun fonctionnaire ne pourra corrompre ce registre.
Pour conclure, on dira qu’en attendant de pouvoir miser sur la bonté de la nature humaine pour combattre la corruption, la technologie est là pour combler votre faillite morale.