L'Indépendance ne fut pas un cadeau magnanimement octroyé, mais un long combat marqué de larmes et de sang.
Un jour comme aujourd’hui, au cours de la nuit du samedi à dimanche du 1er au 2 octobre, il y a de cela 67 ans, l'Armée de Libération Nationale déclenchait ses premières opérations.
Une étape décisive dans le processus de lutte anticoloniale, inscrite dans la logique du mouvement de mobilisation générale pour la défense des constantes nationales, exacerbé par la déposition du sultan Mohammed V et son exil forcé le 20 août 1953 en Corse puis à Madagascar, signant par cet acte ignominieux, le paroxysme de la tyrannie coloniale.
La lutte allait prendre une autre tournure, plus radicale, avec entre autres figures retentissantes: Allal Ben Abd-Allah, artisan de son état, originaire de Guercif, surgi sur la scène le jour même de sa mort, le 11 septembre 1953, poignardé à Rabat lors de son attaque contre le cortège du roi fantoche choisi par le gouvernement français et ses sbires.
Tant de martyrs aux quatre coins du Royaume ont laissé leur vie pour qu’éclate la liberté dont je ne citerai ici qu’Ahmed Rachidi, né à Casablanca, pour cette phrase, tout en pureté et en poésie, prononcée face au peloton d’exécution après sa condamnation par un tribunal militaire en 1954: «ne me bandez pas les yeux! Laissez-moi voir une dernière fois le ciel bleu de mon pays»…
Aux très nombreux actes spontanés, aux grèves, aux manifestations, s’étaient jointes les émeutes populaires dans une exacerbation du mécontentement auprès de toutes les franges de la population, notamment à Oujda qui s’était soulevée le 16 août 1953, ainsi que Tafoughalt le lendemain, défiant les balles des forces d’occupation.
Deux années plus tard, exactement le 20 août 1955, à l’occasion du second anniversaire de l’exil du sultan, Oued Zem était le théâtre d’un immense soulèvement, accompagné d’une féroce répression, lui valant le surnom de «Ville martyre».
En phase avec cet élan, des cellules de la Résistance étaient organisées par les troupes de l'Armée de Libération Nationale, créée peu avant.
Des attaques coordonnées ne manquèrent pas alors de secouer les postes avancés des forces coloniales.
Nous sommes sur le territoire des Igueznayen (nom arabisé en Gueznaya) qui couvre les provinces actuelles de Taza et de Driouch, comprenant de ce fait plusieurs localités, telles Aknoul, Ajdir, Kassita, Tizi Ouasli, Aghbal…
Les exploits des Igueznayen sont réputés anciennement, en différentes régions à travers l’histoire, qui retient le nom de personnalités de l’envergure du seigneur de Meknès sous le règne almoravide, Youssef Gueznaï; du médecin à la cour du sultan mérinide, Ahmed Agueznay, originaire de Taza, installé à Fès, mort lors d’une épidémie de peste à Tunis en 1348; du théologien et homme de lettres du XIVe siècle, Ali Gueznay, auteur d’un ouvrage consacré à l’histoire de Fès, intitulé «Zahr al-âs» («Fleur de myrte»)…
Quelques siècles plus tard, l’arbitraire colonial décida de diviser les terres des Igueznayen, placées sous une double colonisation française et espagnole.
Des batailles mémorables furent alors livrées aux premières infiltrations coloniales et aux dernières heures des forces en présence, donnant lieu à l’appellation de Deuxième guerre du Rif.
Là, à la frontière des deux zones d’occupation, dans cette région nommée, en raison des coups durs portés par la Résistance, «Triangle de la mort», couvrant Tizi-Ouasli-Aknoul-Boured, l'Armée de Libération entra en action sous les ordres de Abbas Messaâdi (né dans le Sud, à Tazarine, au sein des Aït Atta).
La première cargaison d’armes de guerre avaient été acheminée dans la plus grande discrétion depuis le port de Nador, alors sous juridiction espagnole, où avait accosté la nuit du 30 mars 1955, le yacht «Dina», en provenance d’Alexandrie, traversant une partie de la Méditerranée en direction de la côte de Kebdana, à destination des combattants marocains et algériens, unis contre l’occupation, dans un significatif exemple de coopération.
Bref! La nuit du 1er au 2 octobre 1955, ce fut l’attaque simultanée des postes avancés des forces françaises dans un triangle de 30 kilomètres environ.
Le poste de Boured, fondé en 1926 par Henry de Bournazel sur un site défensif à proximité de la zone espagnole, est encerclé, puis occupé, entièrement détruit, les armes saisies, les soldats tués ou faits prisonniers alors que le capitaine Tadi avait trouvé la fuite avec les siens, via un tunnel souterrain.
Au même moment, Tizi Ouasli, situé à flanc de coteau est assailli et «sérieusement endommagé» bien qu’une information filtrée du côté français ait permis de «limiter les dégâts».
Sans oublier Aknoul, décrit à lui seul dans le journal Le Monde, comme «la base opérationnelle la plus importante des récentes opérations militaires dans le Rif».
Aknoul où tonnait le canon et la mitraillette au point où le journal France Soir écrive à ce propos: «l’évidence est là: il ne s’agit plus à présent au Maroc d’attentats individuels à la grenade de fabrication artisanale, mais de guerre, véritablement, avec des combattants armés et organisés».
Que l’on en juge au Moyen Atlas, où 2.000 combattants d’Imouzzer Marmoucha s’étaient emparés à la même date du poste français dans une action qualifiée par la presse coloniale, d’épisode le plus sanglant de l'insurrection du 2 octobre avec l’assassinat de dix Européens et de cinq goumiers ainsi que la saisie d’une grande quantité d'armes et de munitions!
«L'effet de surprise a été incontestable, lit-on dans La Vigie Marocaine. La preuve est acquise que les tribus ont été armées grâce à une active contrebande d'armes en provenance de la zone espagnole vers la région des Marmoucha ainsi que par Guercif vers la moyenne Moulouya».
Des armes qui ont servi notamment à l'attaque de Berkine chez les Aït Warrayn et la destruction partielle du poste français.
Le 3 octobre, l’observatoire de Bouzineb, enclave française en zone espagnole, près d’Aknoul, est enlevé à son tour, joignant au mouvement, les Aït Ammart sous le commandement de Hajj Mohand Alloush al-Amarti.
En réaction, le 9 octobre, «une offensive de grande envergure à laquelle participent plus de 10.000 hommes, a été déclenchée, écrit La Vigie marocaine (…) Dix bataillons français participaient à l'opération de prise en tenaille de la tribu rebelle des Gzenaya: des convois massifs remontaient vers le Nord à partir de Fès et de Taza».
Sans oublier l’embargo imposé aux tribus Marmoucha et toutes les formes d’exactions qui n’ont épargné ni femmes, ni enfants.
Malgré la supériorité des troupes coloniales et de leurs armes sophistiquées, soutenues par l’aviation et les blindés, les combattants marocains, divisés en plusieurs commandos, continuèrent à opérer dans différents lieux, harcelant les convois et rompant les voies de communication, non seulement sur la bordure de la zone espagnole mais aussi à Tafoughalt dans l’Oriental, au Moyen Atlas et dans bien d’autres régions…
Dans sa contribution intitulée «La France et l'Espagne au Maroc pendant la période du Protectorat», Henry Marchat rapporte qu’en réponse aux accusations portées par le général Pierre Boyer de Latour contre l’Espagne, qui aurait aidé d’une certaine manière les rebelles (fait appuyé dans son ouvrage «Vérités sur l’Afrique du Nord»), l’observateur espagnol de l’ONU, M. de Erice, avait déclaré à New York que «la France n’ayant tenu aucun compte des droits de l’Espagne lors de la déposition du Sultan, ne pouvait guère s’attendre à une collaboration militaire pour réprimer une révolte qu’avait provoquée «sa stupide politique»».
Stupidité politique, certes, ne serait-ce que dans sa sous-estimation d’une telle symbiose, moteur d’un élan inéluctable vers la liberté, que rien ne pouvait plus arrêter, appuyé par les désertions en masse des goumiers marocains, annonçant par l’étendue de la Résistance, les prémices de la fin du Protectorat.