Au lendemain du second conflit mondial, la question berbère divisa le courant nationaliste algérien. En 1947, lors du premier congrès du PPA/MTLD (Parti du peuple algérien/Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), quatre Kabyles entrèrent au Comité central du parti, dont Hocine Aït-Ahmed. A partir de ce moment, les Kabyles tentèrent d’introduire la revendication berbère dans la lutte pour l’indépendance. En vain, car en 1948, le MTLD, dans son appel à l’ONU, inscrivit la phrase suivante: «la nation algérienne, arabe et musulmane existe depuis le VIIe siècle», ce qui provoqua la fureur de sa composante kabyle.
En 1949, au sein de la section de métropole du PPA-MLTD éclata la «crise berbériste» qui opposa les Kabyles voulant faire reconnaître la «berbérité» comme partie intégrante du nationalisme algérien à la direction arabo-islamique du mouvement. Ce fut à l’occasion de cette crise que fut posée la question de l’identité algérienne. Cette dernière était-elle exclusivement arabo-islamique ou berbère et arabo-islamique? (voir ma précédente chronique). Tout partit d’un vote lors duquel, le Comité directeur de la Fédération de France du PPA/MTLD, largement dominé par les berbéristes, vota à une écrasante majorité une motion rejetant le postulat d’une Algérie arabe. Après ce vote, les deux camps en vinrent aux mains.
Pour la direction du mouvement et pour Messali Hadj, arabisme et islamisme étaient les éléments constitutifs sans lesquels l’Algérie algérienne ne pourrait pas faire «coaguler» ses populations. Tout était donc clair: l’Algérie était une composante de la nation arabe, sa religion était l’islam et le berbérisme un moyen pour le colonisateur de diviser les Algériens.
Les berbéristes se retrouvaient alors dans deux grands courants:- Le premier donnait la priorité à la lutte pour l’indépendance, considérant que la question berbère serait posée ultérieurement, dans le cadre d’une Algérie algérienne.- Le second voulait qu’avant de déclencher l’insurrection, il y ait accord sur les définitions futures.
Mis en accusation pour régionalisme et anti-nationalisme, les cadres kabyles furent écartés de la direction du PPA/MTLD puis exclus, cependant que certains étaient assassinés, comme Ali Rabia en 1952. Ce fut alors que le Kabyle Hocine Aït-Ahmed perdit la direction de l’OS (Organisation Spéciale) au profit de l’«Arabe» Ben Bella.
L’opposition entre berbéristes et tenants de l’arabo-islam se prolongea durant toute la guerre d’indépendance algérienne qui, sur le terrain, fut essentiellement menée par des Berbères dont les chefs étaient Abane Ramdane, Amirouche Aït Hamouda, Krim Belkacem ou encore Hocine Aït Hamed.
Comme l’a écrit Salem Chaker, «l’un des soucis lancinants des responsables arabes pendant la guerre d’Algérie aura été de marginaliser les chefs politiques kabyles: à leurs yeux; ils sont à peu près tous suspects de berbérisme et leur loyalisme arabe n’est pas assuré. La liquidation physique d’Abane Ramdane, puis le lent processus d’encerclement et de marginalisation de Krim Belkacem, peut-être même la mort d’Amirouche, s’inscrivent dans ce contexte de rivalité Arabes/Kabyles. Par-delà leurs divergences et les conflits d’ambitions personnelles, les principaux chefs arabes (Ben Bella, Boussouf, Bentobbal, Boumédiène, Bouteflika…) se sont tous retrouvés sur la nécessité de briser l’hégémonie kabyle sur le FLN-ALN».