Lawchame, tachrite, tagezzayt en amazigh. Le tatouage date de milliers d’années. Signe d’identification, d’appartenance à une tribu, une religion, un groupe tels les pirates, en Occident, il était signe de déviance, marquant les esclaves, les parias, les prisonniers. A partir du XIXe siècle, avec la colonisation, il y eut une fascination pour l’exotisme. Le tatouage devint un signe de distinction pour les aristocrates.
Depuis les années 90, le tatouage a un succès mondial pour afficher l’originalité, s’embellir, séduire, provoquer, être à la mode... Les motifs sont de toutes sortes: floraux, géométriques, figuratifs, calligraphiques, au visage, dos, torse, bras, jambes, parties intimes…
Ancestral, le tatouage au Maroc fait partie de la culture amazighe. On le retrouve dans plusieurs régions: Rif, Moyen et Grand Atlas, Souss, Tafilalet, Abda, Chaouia, Doukkala… Les tribus amazighes du Moyen Atlas ont les motifs les plus chargés.
La méthode est toujours la même: on pique la peau avec des aiguilles et on passe un produit pour la colorer. Sauf qu’on utilisait des produits naturels: le bleu indigo ou du charbon mélangé à la suie de marmite et au blé ergoté.
Les motifs ne sont jamais figuratifs, mais géométriques et rarement floraux. Ils sont proches du tifinagh, écriture amazighe datant de l'antiquité gréco-romaine. Ces motifs sont retrouvés dans les bijoux, les costumes, les tapis, la poterie, les sabres et fusils, les murs des maisons, les remparts des kasbahs…
Le tatouage était réservé aux femmes blanches, sauf dans des tribus du Moyen Atlas, tel Zayane: les hommes ont une croix sur le bout du nez, signe d’appartenance à la tribu.
Le tatouage était une arme de séduction féminine.
Le premier se faisait sur des petites filles pour leur entrée dans la féminité. La douleur était supportée car li bgha zine, ysbar ltqibe alwadnine (pour être belle, il faut souffrir). Les femmes disposaient de leur corps comme d’un espace d’écriture, de mémoire. Elles le décoraient lors d’événements heureux, ajoutant un motif sur la main, le pied, le visage.
Chaque motif a une signification. Le corps, un espace d’expression!
Le motif le plus courant est siyala, appelée aussi tasnid lalla Fatim’zohra, fille du Prophète: le jour du Jugement dernier, elle reconnaîtra ainsi les musulmanes pour les emmener au paradis. Siyala est un long dessin au milieu du menton, décoré de part et de petits motifs propres à chaque région.
Le tatouage, un artifice de beauté. El bouja ou el-louza (amande): dessin ovale, entre les sourcils, qui rend le regard coquin. El ghemmaz, petit dessin sur la tempe, près de l’œil. Quand la femme cligne de l’œil, ce motif bouge et rend son regard envoûtant.
Des dessins représentent des parures: el khala (grain de beauté) sur la joue et el ouarda (la rose), bracelet sur le poignet ou khatem slimania (bague de Salomon), bague magique telle celle qui exauçait les vœux du Prophète Salomon. La bague donne el kobole (l’attrait).
Le cou est marqué par un long dessin qui l’allonge et cache les futures rides.
Outre les motifs qui s’exhibent, les femmes cachaient des trésors sous leurs habits, destinés à enflammer le désir masculin. Abdelkébir Khatibi, fasciné par cette écriture sur le corps, parle de tatouages en perpétuel mouvance, qui dansent. Arabesque érotique dans un corps dissimulant des signes de l'amour et qui donne le désir constant d’examiner sa bien-aimée (Pèlerinage d’un artiste amoureux, Rocher, 2003).
Les ornement du menton à la naissance des seins ou jusqu’au nombril, font du corps un jardin de fantasmes et de promesses sensuelles.
Dans des tribus du Moyen Atlas, le tatouage va du menton au bas du pubis. La couleur verte du motif tranchant avec celle d’un pubis soigneusement épilé, explose le désir masculin, ainsi que les motifs sur les chevilles et les mollets lorsque les femmes lèvent les jambes dans l’intimité.
Le tatouage, une protection contre le mauvais œil et tabâa (jalousie): entre les épaules, sur le dos de la main ou le front. Dem en-nfasse (sang de l’accouchement), dans la partie externe des chevilles, facilite l’accouchement. Les femmes accouchaient debout, tirant une corde accrochée au plafond. Le sang coulait sur les chevilles. On dit d’une personne laide: matchoufe fike la lamwahma, la chadda fi lèhbèle.
Le plus frappant est ljam sidi (la bride de mon maître), au Moyen Atlas: une barbe de 4 à 6 cm de largeur sur les joues et le menton, symbole de soumission de la fille à son futur mari. On peut encore voir ce tatouage chez des femmes âgées de plus de 60 ans.
Aujourd’hui, il est très rare de voir des fillettes tatouées car les canons de la beauté changent. Un discours religieux sévère culpabilise les femmes tatouées. Selon Imam Muslim, le Prophète aurait interdit de modifier le corps, une création divine. Si le Coran n’en parle pas, le Judaïsme, dans la Bible, condamne sévèrement le tatouage. Le Christianisme en a été influencé. Mais au Maroc, dans de nombreuses tribus, les femmes juives étaient tatouées, suivant les coutumes locales.
Les femmes utilisent divers produits pour supprimer le tatouage, mais qui brûlent la peau et laissent une cicatrice disgracieuse. Les plus nanties vont chez des médecins plasticiens qui, dans leur publicité, précisent: suppression de tatouage.
D’autres formes de tatouages reviennent à la mode, prisés par nos jeunes. De nombreux salons de tatouage ont ouvert, mais sans cadre juridique et sans contrôle d’hygiène.
Il y un grand intérêt pour les motifs amazighs, auprès des jeunes Marocains vivant au Maroc ou à l’étranger. Affirmation et revendication identitaire? Possible. Mais surtout le choix d’un ornement de toute beauté, fin et gracieux, qui mérite d’être sauvegardé.