Remplacer un organe malade par autre sain a toujours été le rêve des humains. Des greffes existaient dans les mythologies égyptiennes et gréco-romaines, 2000 ans avant J.-C.
Des essais ont eu lieu à travers les siècles, se soldant par des décès. En 1954, a eu lieu la première greffe d’un rein, réussie, aux Etats-Unis.
Puis d’autres réussites suivirent: tissus, cornée en cas de risque de cécité, moelle osseuse pour des leucémies, peau pour les brûlés, vaisseaux sanguins pour des atteintes cardiovasculaires, cœur, foie, pancréas, poumon, et donc des organes vitaux. Également sur des organes non vitaux: main, visage, utérus, pénis… La greffe de rein est la plus courante.
En cas d’insuffisance rénale, le malade doit passer par l’hémodialyse: trois fois par semaine, il est relié à une machine, pendant au moins 3 heures, pour filtrer son sang.
Au Maroc, 32 000 personnes sont dialysées dans près de 400 centres d’hémodialyse. Le soin est très coûteux et fatigant. Le patient ne peut plus mener une vie normale, se déplacer loin des centres de dialyse, travailler ou étudier convenablement, entretenir une famille, gérer un foyer. Toute une famille en souffrance. Les centres ne sont pas toujours à proximité des foyers, et occasionnent des dépenses de soin, de transport, de logement que les familles ne peuvent supporter, surtout en milieu rural et suburbain.
Au Maroc, la première greffe rénale a été effectuée au CHU d’Ibn Rochd de Casablanca en 1986.
La transplantation rénale est le seul espoir, car la dialyse n’est pas une solution durable. Elle est 10 fois moins coûteuse que la dialyse.
Le nombre de cas augmente: 4 500 en 2005, 29 000 en 2018, alors que le nombre de donneurs de rein qui sont inscrits n’est que de 200 personnes. Selon l’association REINS, en 34 ans, il y a eu seulement 630 greffes! Les candidats au don d’organes après leur décès sont rares: depuis 1989, seules 1.100 personnes, dont plus de 700 à Casablanca, se sont inscrites.
Le nombre de patients bénéficiant d’une transplantation de rein ne dépasse pas 50 par an. (La greffe rénale à partir de donneurs cadavériques, Asmae Bendamou, thèse de doctorat en médecine, université Mohammed V, 2019).
Il y a trois cas de figure:
Premièrement, un proche, encore vivant, fait un don à un patient en danger de mort s’il y a une compatibilité entre eux.
Deuxièmement, les organes peuvent être prélevés sur une personne en état de mort clinique, victime d’une destruction définitive de ses fonctions cérébrales, mais dont le cœur bat toujours.
Troisièmement, une personne, de son vivant, décide de faire don de ses organes, après son décès.
Le don d’organes est considéré comme haram. Les ulémas qui s’y opposent avancent que le corps humain appartient à Dieu. Le jour de la Résurrection, les donneurs auront des organes manquants. Certains interdisent même le don du cœur, qui serait le siège de la foi.
En fait, il y a eu un consensus de jurisconsultes musulmans à rendre licite le prélèvement d’organes et la transplantation, suivant la parole du Coran: «quiconque sauve une vie a sauvé l’humanité entière» (Al Maïda) et un Hadith, parole transmise du Prophète, qui a dit que les hommes ressusciteront non circoncis (selon Al Boukhari).
Les organes manquants seront donc attribués à nouveau.
De son vivant, il est donc permis de faire un don d’organes non vitaux, existant en plusieurs exemplaires ou qui se renouvellent dans le corps, tel le sang, la peau et les reins…
La transplantation des ovaires, ovules, testicules, spermatozoïdes, organes génitaux est interdite pour éviter un mélange de descendance et préserver la filiation.
Le don doit être volontaire et surtout gratuit. Mais en Arabie Saoudite, par exemple, le donneur (ou sa famille), est récompensé par le receveur. En Iran, le donneur est considéré comme un bienfaiteur de la communauté, auquel l’Etat verse une somme d’argent fixe. Il semblerait qu’il y ait une liste d’attente de donneurs et non de receveurs!
Au Maroc, la législation distingue deux types de dons: par une personne vivante et par une personne décédée.
Une personne vivante ne peut faire un don d'organes qu’à ses ascendants, descendants, sœurs et frères, oncles et tantes et à l’épouse ou l’époux si le mariage dépasse au moins un an. Le donneur doit enregistrer sa volonté auprès du président du tribunal de première instance. Ce consentement peut être annulé à tout moment par le donneur de son vivant.
Pour le don d’organes par une personne décédée, il faut qu’elle ait été majeure de son vivant, qu’elle ait enregistré sa volonté auprès du président du tribunal de première instance. La procédure est gratuite. Mais une famille peut décider de faire don des organes d'un proche décédé, à moins que, de son vivant, celui-ci n’ait fait enregistrer son refus auprès du président du tribunal. Le don peut profiter à un patient qui n'est pas un proche du donneur.
L’identité du donneur doit rester confidentielle.
Faire don de ses organes après son décès est une décision difficile à prendre et à faire admettre à sa propre famille. On veut que le corps reste intact alors qu'une fois sous terre, il est réduit en poussière. Pourquoi alors ne pas l’offrir à des personnes en détresse? Autre contrainte: la mise en terre est retardée, en attendant la procédure et le prélèvement des organes. Mais cette contrainte ne saurait égaliser la bonne action effectuée par le défunt, en ayant sauvé une personne de la mort.
Faire don de ses organes ne fait pas partie de notre culture, mais peut le devenir si l’Etat informe la population à travers des campagnes de sensibilisation.
Selon le Prophète, quand une personne meurt, toutes ses œuvres sont interrompues sauf trois, dont Es-Sadaqa al-jariya (l'aumône continue). Sauver des vies en faisant don de ses organes est une sadaqa jariya.