La retraite telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’a été créée qu’à partir du XIXe siècle, en Europe, avec le développement industriel. Elle ne concerne, à ce jour, que le travail rémunéré, sans valorisation du travail féminin dans le foyer.
Un adage marocain dit: «que ma jeunesse travaille pour ma vieillesse». La retraite est perçue comme la dernière étape de la vie où les revenus baissent ou disparaissent. Il faut épargner pour douère az-mane (les «aléas de la vie»).
Les hommes qui en avaient les moyens épargnaient par la thésaurisation, biens immobiliers, du cristal, de l’or et de l’argent… L’achat d’un logement a toujours été une sécurité pour la retraite.
Pour la femme, les vieux jours étaient assurés par le mari. Quand elle le pouvait, elle constituait sa retraite: achat par le mari de bijoux, de linge brodé, de laine et ses dérivés… Elle «grattait» un peu sur l’argent du marché et produisait des articles qu’elle vendait pour contribuer au budget et en cacher un peu.
Aucun souci pour les vieux jours. On enfantait beaucoup: les fils sont une garantie financière et les filles, des aides-soignantes pour la vieillesse.
La retraite était perçue comme une fin, la fin de l’activité professionnelle.
Mais cela a bien changé. L’espérance de vie a augmenté: au Maroc, elle était de 43 ans dans les années cinquante. Aujourd’hui, elle est de 76,5 ans (75 ans pour les hommes et 78 ans pour les femmes. Eh oui, Messieurs, nous vivons plus longtemps que vous!). Donc la retraite se vit sur de longues années.
Les femmes ayant travaillé dans un secteur organisé ont une pension. Elles sont contentes de se libérer pour leur foyer, la famille et leur propre bien-être. Elles continuent à avoir une vie sociale. Avant, du rôle de mère, elles passaient à celui de grand-mère. Aujourd’hui, elles vivent également pour elles-mêmes et ont des activités épanouissantes. Mais elles sont moins contentes d’avoir des maris retraités «qui leur tournent entre les pieds», ou comme «une dent (qui brûle)!»…
«Un homme à la maison, c’est comme un bouton dans le dos», dit-on. Un conflit territorial peut opposer les deux conjoints retraités s’ils ne s’y sont pas préparés à l’avance.
Les hommes, eux, redoutent la retraite. Vivant plus dans la sphère professionnelle et publique que dans le foyer, ils subissent des changements brutaux.
Mais la retraite n’est plus une fin. C’est une continuité, sans rupture.
De nombreux retraités refusent de subir un sentiment d’exclusion sociale, d’inutilité. Ali: «à 63 ans, je suis encore jeune. J’ai une grande expertise dans mon domaine. Me retirer serait un gâchis».
Le mot «mort» est souvent exprimé par ce nouveau profil de retraités: «arrêter pour mourir?». Ils créent des bureaux d’études et de conseil, enseignent, continuent à travailler par contrat avec leur entreprise, vont du secteur public au privé…
La retraite devient donc un début, avec ce nouveau phénomène: le recyclage.
Femmes et hommes préparent leur retraite à l’avance, changent de métier, en suivant des formations: coach, consultant, commerçant, chef d’entreprise, artisan… Rester actif, car l’arrêt du travail mène à l’antichambre de la mort. Des études montrent qu’il y a plus de décès et de maladies, les deux premières années de la retraite, chez les inactifs.
Par ailleurs, le pouvoir d’achat baisse à la retraite. Il faut maintenir le même niveau de vie. Les retraités ont des besoins multiples que les aînés n’avaient pas, tels les loisirs et l’aide aux enfants! L’enfant-garantie devient l’enfant-aspirateur! L’âge du mariage a reculé (femmes: 28 ans. Hommes: 31). Les enfants travaillent tardivement à cause de la scolarité et du chômage. Les parents aident leurs enfants mariés et ayant des enfants, car les salaires sont trop bas et les besoins énormes.
Je ne parle pas de la majorité des retraités aux rentes dérisoires, ou ceux qui ont travaillé dans l’informel, sans couverture sociale. Ils occupent les coins de rue des quartiers populaires, ou les murs des souks, en égrenant le temps avec amertume, privés du minimum vital et de loisirs dans une société qui a usé leur force de travail sans contrepartie. Assis par terre, ils jouent aux dames sur un échiquier en carton ou carrément tracé avec du charbon sur le sol.
Ni loisirs, ni activités culturelles, ni de réduction sur le transport et les voyages. Ils périssent dans une précarité extrême.
Je vous parle, en fait, d’une population qualifiée, qui a une retraite décente.
Dans une société qui s’individualise et où le nombre moyen d’enfants par femme est de 2,2, les travailleurs ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour leur retraite. Nous remarquons alors une montée de la culture de la retraite chez les jeunes. Un recruteur: «ils sont rusés. Dès le recrutement, ils veulent des précisions sur la retraite. Moi je n’y ai pensé qu’à 50 ans!».
Chez eux, la retraite se conçoit dans la continuité, l’activité, les loisirs, les voyages et surtout une nouvelle activité professionnelle. Quand ils le peuvent, les jeunes cotisent dans des retraites complémentaires.
Si la retraite était liée à la vieillesse, aux privations, aux maladies, à la fatalité, à la finitude, aujourd’hui elle devient un tournant menant à une vie nouvelle, chargée d’activités, d’ambitions et d’objectifs. Fini le temps où le retraité disait: «je vais écouter mes os». Les nouveaux retraités secouent sans cesse leurs os!