Et si nous parlions de notre héritage culturel judéo-marocain?

Famille Naamane

Chronique«Un peuple qui ne connait pas son passé, ses origines et sa culture ressemble à un arbre sans racines». (Marcus Garvey).

Le 25/12/2020 à 11h00

Au Maroc, plusieurs religions ont cohabité. Mais nos jeunes l’ignorent!

Tous les ans, je pose la question à mes étudiants: «depuis quand les juifs sont au Maroc?». La quasi-totalité des étudiants: la Première, la Seconde Guerre mondiale, le Protectorat. Scandaleux. Les cours d’histoire ont occulté une partie de nos racines. Il est inadmissible qu’une jeunesse ignore son histoire. Les plus âgés sont mieux informés car ils ont cohabité avec les Marocains juifs, en ville ou à la campagne. Quand je demande à mes étudiants la date de l’avènement du Judaïsme et du Christianisme, ils pataugent. Et même souvent pour l’Islam!

Je leur demande: «vos ancêtres, avant d’être musulmans, étaient de quelle religion?». «Musulmans!» Je leur dis que l’Islam a été révélé par le Prophète Mohammed et pas avant, ni par quelqu’un d’autre. Quand je leur explique, ils sont traumatisés. Ils refusent d’admettre que leurs ancêtres n’aient pas toujours été musulmans! Pourtant l’Islam n’a été révélé qu’il y a 14 siècles. Le Maroc a été païen pendant des millénaires, ensuite sont arrivés les juifs il y a 25 siècles*, les chrétiens avec les Romains il y a 20 siècles.

Nos ancêtres ne pouvaient être que païens ou juifs avant d’être musulmans. Quand je leur dis qu’il est fort probable que dans nos veines coule du sang juif, ils sont choqués car à l’école, les cours liés à la religion leur ont transmis la haine vis-à-vis d’al kouffar (les "mécréants"). Alors que la tolérance et la paix doivent être enseignées à l’école. Je les envoie alors visiter le Musée du Judaïsme de Casablanca, le seul dans le monde arabe. Ils en reviennent secoués et fascinés: «c’est la même culture que la nôtre!» «Eux c’est nous et nous c’est eux!». 

Chez nous, il n’y avait pas des amazighs et des juifs, mais des amazigh païens ou juifs et après l’islamisation du Maroc, des amazigh juifs et d’autres musulmans. Il n’y a pas des Marocains et des juifs, mais des Marocains musulmans et des Marocains juifs. Le christianisme, peu répandu, n’a pas résisté à l’islamisation. Au XVIe siècle, le Maroc a accueilli une forte communauté juive et musulmane chassée de l’Andalousie. 

En 1955, nous avions plus de 250.000 juifs. Aujourd’hui, seulement 2.000. Mais dans tout le Royaume, en ville et à la campagne, leur empreinte est encore fraiche dans les mémoires, dans la terre, les murs des mellahs, les centaines de cimetières et dans près de 700* mausolées de saints répartis dans tout le pays. Certains de ces saints sont sciemment vénérés par la population musulmane. La cohabitation entre musulmans et juifs a toujours été exemple. Les habitudes étaient les mêmes, sans distinction, sauf dans les rituels religieux. Que de juifs et de musulmans sont frères et sœurs par le lait! Que de mères juives sont rdi3ate (mères de lait) de musulmans et vice-versa! En islam, quand une femme nourrit au sein un autre enfant que le sien, elle crée entre elle et lui et entre les enfants allaités des liens sacrés, identiques aux liens du sang.

Les juifs ont quitté massivement le Maroc dans les années 60, victimes de l’appel sioniste pour peupler Israël et de peur de représailles lors du conflit israélo-palestinien. Des centaines de familles se sont éparpillées entre l’Europe et l’Amérique. Une séparation entre juifs et musulmans douloureuse. Les aînés en parlent encore avec tristesse.

Mais nos juifs n’ont jamais réellement quitté leur pays. Ils ont gardé intact leur attachement au bled, ils ont impacté les pays d’accueil de leur culture à laquelle ils sont restés fidèles et transmis jalousement à leurs enfants. Tels ces jeunes musiciens, n’ayant jamais vécu au Maroc, ou même pas visité et qui reprennent fièrement le flambeau du répertoire musical marocain traditionnel. Les cérémonies de mariage, de baptême, continuent à respecter les rituels marocains.

La Mimouna, fin de la Paque juive, est une fête d’origine marocaine, exceptionnelle: Khadija, 87 ans: «dans la médina, la Mimouna était un événement attendu par les musulmans. Les maisons juives s’ouvraient toute la nuit pour les voisins. Les tables débordaient de mets succulents». Malheureusement, nos jeunes n’en sont pas informés. Une fête de l’amitié et de la tolérance qui a été adoptée par tous les juifs en Israël. Quand on visite des familles juives à travers le monde, les photos de Mohammed V, Hassan II et Mohammed VI trônent dans les salons. A travers le monde, cette diaspora porte haut l’étendard marocain et soutient fermement notre unité territoriale.

Pour préserver ses racines, le Maroc a introduit dans l’enseignement, cette année, l’histoire et la culture juive marocaine. Un première dans le monde arabe.

La décision louable du Souverain de rétablir les relations diplomatiques avec Israël, interrompues depuis 20 ans, a surpris, scandalisé, apaisé, satisfait, fasciné… C’est l’aboutissement de nombreuses années de diplomatie d’un Maroc qui a été précurseur et leader dans la défense des droits des Palestiniens.

Le Maroc et son Souverain, Président du Comité Al Qods, militent en faveur de deux Etats, un israélien et un palestinien, avec Jérusalem comme capitale commune. Si cette décision a suscité des réactions négatives, les principaux intéressés, les Palestiniens, n’ont émis aucune critique. La stratégie marocaine est porteuse d’espoir de paix.

En Israël, il y a plus d’un million de juifs marocains. L’actuel gouvernement compte 10 ministres d’origine marocaine. La diaspora juive marocaine est puissante à travers le monde. Des efforts conjugués en une forte synergie peuvent enfin instaurer la paix entre les enfants de Sidna Ibrahim et redonner aux Palestiniens leurs droits et leur dignité. 

* « De Jérusalem à Fès », Raphaël DEVICO, ed. Biblieurope, 2020.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 25/12/2020 à 11h00