Nous appartenons au pays que nous nous fabriquons

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ChroniqueJ’en connais qui ont pleuré de joie et d’émotion. Des jeunes et des pas jeunes, éternels amoureux de celui qui a écrit et chanté «Forever young».

Le 22/10/2016 à 17h01

Le prix Nobel de Bob Dylan a fait plaisir à beaucoup de gens, au-delà de leur nationalité, de leur culture ou de leur confession. Parce qu’il honore la culture populaire, voire la contre-culture, réputée proche de la rue et de la jeunesse.

J’en connais qui ont pleuré de joie et d’émotion. Des jeunes et des pas jeunes, éternels amoureux de celui qui a écrit et chanté « Forever young ».

La force de ce prix, c’est que tout le monde peut se l’approprier. Chacun de nous peut y voir une récompense personnelle, qui lui est spécialement destinée. C’est un sentiment rare, exceptionnel.

C’est Jean Renoir, un autre artiste majeur, qui le disait : à mesure que les moyens de communication réduisent la taille du monde dans lequel nous vivons, l’idée de « nation » se déclinera aussi selon un mode horizontal. Nous n’appartiendrons plus seulement à la nationalité de nos pères mais à un pays plus utilitaire, transversal, sans doute imaginaire, celui de nos amis et de ceux avec lesquels on partage une passion, un métier, voire un rêve. C’est le pays que nous nous fabriquons.

Chaque jour qui passe, nous appartenons un peu plus à ce pays imaginaire mais que nous nous fabriquons.

Au Maroc, j’ai lu que le Nobel de Bob Dylan est aussi un hommage à un certain nombre de musiciens et d’artistes marocains. Pourquoi pas. Il faut se rappeler de ce qu’était Bob Dylan à ses débuts. Un jeune révolté qui débarque de nulle part, avec une guitare et des textes contestataires. Il est retourné aux racines de la musique populaire et pris la plume pour écrire des textes gorgés de littérature et de politique. Le protest-song, littéralement la chanson contestataire.

Il a été ce lien indispensable qui a relié le patrimoine populaire et l’actualité politique. Il a connecté la musique à la littérature et au cinéma. Il a souvent changé de style, de religion, de guitare, de voix, de place. Mais c’est sans doute parce qu’il s’est baladé, toute sa vie, dans ce pays horizontal qu’il s’est fabriqué de ses propres mains, et qui l’a emmené d’un ciel à l’autre et d’une appartenance à l’autre…

Le Maroc, comme les autres pays du monde, a connu son Dylan, voire ses Dylan. Les amoureux des années 70, pour ne citer que ceux-là, se rappellent très bien de la génération Nass El Ghiwane. Batma, dans son genre, a fait du Dylan. Il a tourné le dos à la variété, déterré un patrimoine oral alors méprisé, pris le bendir et la derbouka, et écrit des textes à la fois très littéraires et très politiques. Avec quelque chose d’unique et qui n’appartient qu’à lui. Au fond, et malgré l’agitation, malgré la révolte, il a toujours délivré un message d’amour et de paix pour ses semblables. 

Il y a bien un fil imaginaire pour relier Bob Dylan à Larbi Batma et à d’autres immenses artistes, ici et ailleurs.

Par Karim Boukhari
Le 22/10/2016 à 17h01