Le bac, c’est comme les élections. C’est un concours, une sélection, on prend les meilleurs et aux autres on dit «merci et au revoir». Et comme pour les élections, tout le monde veut être parmi les meilleurs et personne ne veut faire partie des «autres». Cela nous amène directement à la fraude, à la triche. Ceux qui trichent au bac ressemblent à ceux qui trichent aux élections. Ils veulent être «élus» même quand leurs points ne leur donnent pas ce privilège. Un privilège qu’ils assimilent à un droit. Et un droit, ça s’arrache. Alors ils vont l’arracher par n’importe quel moyen.
Jusqu’aux années 1980, par exemple, on disait qu’il fallait attendre d’avoir le passeport et le bac pour être un homme. Ceux qui disaient cela ne plaisantaient pas. Le bac était le Graal. Parce qu’il ouvrait la voie à l’autonomie et à l’indépendance financière. Il fonctionnait aussi comme ascenseur social.
Le bac était un diplôme à part entière. Mais c’était une denrée rare. Beaucoup d’appelés, peu d’élus. Alors chaque famille tentait l’impossible pour avoir son nom sur le journal (les candidats reçus au bac voyaient leurs noms publiés dans les principaux journaux marocains). Il y avait les familles avec et les familles sans. Les premières faisaient la fête, les deuxièmes étaient en deuil.
Le temps est passé, la sacralité du bac a beaucoup baissé. Mais la triche et la fraude sont restées. Elles ont évolué avec le temps, elles se sont adaptées aux nouvelles moeurs et aux nouvelles technologies. Mais elles sont restées.
J’ai lu ceci : pour la deuxième année de suite, les fraudeurs ont mis en déroute le ministère de l’Education nationale. L’information a été relayée partout. Des épreuves du bac ont fuité sur les médias sociaux. Une page dédiée aux fuites, la bien nommée «Tassribates», a même été créée sur Facebook. Ce n’est pas la première fois, mais la deuxième. Ce scandale n’a pas scandalisé grand-monde. Parce qu’on a l’habitude. On fait avec. On a appris à tolérer la triche et la fraude, comme on a appris à vivre avec la corruption, la petite et la grande.
La fraude au bac n’est pas née avec l’ère de la cyber-criminalité. Elle existait avant. Elle était plus artisanale et surtout moins démocratique. Ceux qui en profitaient ne partageaient pas avec les autres.
Il y a donc problème. Mais il n’est pas nouveau. Il y a toujours eu problème. La fraude a toujours été un problème. Aujourd’hui, elle est simplement amplifiée par l’explosion des réseaux sociaux et le côté spectaculaire et immédiat que lui offre le média internet.
Au fond, le problème n’est pas la fraude mais notre indifférence face à la fraude. Notre tolérance. Cette façon de hausser les épaules en se disant : «On a l’habitude, c’est de la culture».
Au bac ou aux élections, il nous faudra beaucoup lutter pour nous débarrasser de cette fatalité qui nous suit comme notre ombre.