A partir du moment où le rapport de la Commission Benmoussa a été approuvé par les principaux partis politiques du royaume, il devient un document de travail qui oblige ces partis. Qui les oblige à quoi? A le suivre comme une boussole, sans s’égarer ni trop s’écarter. Le rapport trace donc les limites et les contours du prochain terrain d’action politique. Il devient une feuille de route, qui oblige aussi le gouvernement actuel et à venir.
Cette opération semble dire aux partis: «Vous piétinez encore? Vous n’avez pas vraiment de programme véritable? Vous ne savez pas trop quoi faire, ni par quoi commencer? Laissez tout tomber et arrêtez de réfléchir, nous avons un (presque) programme pour vous…».
Le timing de cette opération n’est pas innocent. Nous sommes à la veille des élections qui décideront, au bout du processus, des futures politiques publiques. La question de savoir qui va gagner deviendra accessoire. PJD? RNI? Istiqlal? Coalition de centre-gauche-droite ou de tout et de son contraire? Dans tous les cas, la victoire de tel ou tel parti ne signera pas la victoire de son programme. Si programme il y a, bien sûr…
Le gouvernement à venir ne sera ni islamiste ni socialiste. Il a déjà sa feuille de route qui l’attend sur la table. Pour la démocratie, et dans l’absolu, ce n’est pas une très bonne nouvelle, parce que le rapport ruine la possibilité de voir le futur gagnant des élections dicter sa ligne éditoriale sur les prochaines politiques publiques. Qui s’en soucie? Les démocrates purs et durs, bien sûr.
Dans le même temps, qui a réellement envie, y compris dans les rangs des démocrates, de subir au quotidien un programme concocté par des islamistes toujours en mal avec la modernité, et qui rêvent encore de retourner à la charia, ou par des socialistes qui ont perdu depuis longtemps le contact avec la rue, qui n’ont gardé de la science socialiste que la bureaucratie, et qui ne savent plus très bien s’ils sont encore de gauche?
Alors non, ce n’est pas une bonne nouvelle pour le «jeu» démocratique. Pour le développement, c’est une autre histoire. En supposant évidemment qu’il est possible de dissocier démocratie et développement…
Dans le rapport de la commission Benmoussa, qui est copieux et qu’il va falloir d’abord avaler et digérer, il y a des tiroirs à explorer et sans doute des fils à tirer. Le document ne dit pas tout et semble timide ou vague par moments, mais il ouvre tout de même des pistes. Celles qui mènent vers la réforme de la santé et de l’éducation sont prometteuses. Mais il va falloir les creuser davantage. Il va falloir surtout s’en emparer, se les approprier, et surtout les concrétiser.
Comme dit la pub: just do it!
Ce rapport doit connaitre un meilleur sort que deux rapports restés fameux dans la lettre et l’esprit, mais jamais traduits dans la réalité: le rapport du cinquantenaire et celui de l’instance équité et réconciliation. Relisez-les, vous en aurez presque les larmes aux yeux, tant ces documents auraient pu servir de vrais leviers de développement. Et de garde-fous pour encadrer les politiques publiques de ces 15 à 20 dernières années. Si leurs recommandations avaient été appliquées, bien entendu.