De quoi le lion de l’Atlas est-il le nom?

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ChroniqueInvesti d’une puissante symbolique, il est présent dans la littérature scientifique, dans les relations de voyage, dans les récits merveilleux…

Le 07/01/2023 à 10h58

Cela pourrait être un remake revisité d’une fable de la Fontaine :  «Un petit renard, satisfait de lui jusque-là, vit un lion

de belle et majestueuse allure. Saisi d’envie, il se trouva, soudain, fragile et insignifiant Le voilà en pleurs qui soupire et se déchire qui se tourmente et se lamente : Pourquoi supporter mon état de chétive créature  dont personne ne voudrait plus comme mascotte? Voyez ces longues oreilles dont le sort m’a fait don; quand lui a une crinière abondante!

N’en déplaise à toute la nature, je veux être le roi des fauves, sinon rien!»

C’est vrai qu’il en a du panache ce lion! Investi d’une puissante symbolique, c’est un emblème figurant sur les armoiries du Royaume du Maroc.Il est identifié également à notre équipe de football, qui a mené sa première rencontre officielle le 19 octobre 1957 face à l’Irak et à ses Lions de Mésopotamie, et dont les derniers exploits au Qatar ont fait retentir encore plus le nom aux quatre coins de la planète.

C’est le Lion de l’Atlas ou le Panthera leo leo selon son appellation scientifique, connu aussi anciennement sous la désignation de lion de Barbarie dont des ossements fossiles ont été découverts tout récemment dans la grotte de Bizmoune dans la région d’Essaouira, datés de quelques 110.000 années.

Régnant en maître sur toute l'Afrique du Nord, il s’est éteint dans son habitat sauvage, probablement dans les années 1940, décimé, entre autres raisons, avec l’introduction des armes à feu par les chasseurs durant la période de la colonisation.

Le Maroc a su toutefois préserver des spécimens, issus de la fauverie royale, descendants notamment de lions offerts par les tribus, transférés ensuite au parc zoologique national de Rabat à sa création en 1974.Des équipes d'experts furent désignées dès lors pour la sélection, l’élevage et la préservation, avec le projet de préparer une réintroduction dans une réserve de 10.000 hectares située dans la région d’Azilal.

Aujourd’hui, le Maroc, considéré comme une pépinière de son élevage sur le plan international, est le pays qui continue à héberger la plus grande population de lions de l’Atlas, alors que l’espoir de sa réintroduction dans la nature a été abandonné à jamais.

Etrange destin pour cet animal mythique qui ne doit plus sa survie qu’à sa captivité!Si prisé par les Romains pour les jeux de cirque et pour les combats d’arènes des gladiateurs dans le Colisée, le lion «de Barbarie», importé en grand nombre (On rapporte que Jules César à lui seul en possédait 400!), est associé aussi à la peine capitale (la monstrueuse damnatio ad bestias) et au supplice des martyrs chrétiens jetés en pâture aux fauves.

Le long des siècles, le lion est évoqué en différents lieux au Maroc, pour ne citer que lui, par un ensemble de récits, loin d’être cantonné en cela dans les seules montagnes de l’Atlas.Hassan al-Ouazzan, rebaptisé «Léon l’Africain», évoque au fil des pages, dans sa «Description de l’Afrique», la présence de cette faune sauvage dans la Tamesna ou dans les steppes orientales des Angad, dans le Zerhoun où il est fait mention de séances de chasse ou à Téfelfelt près de la Maâmora.

La toponymie offre en ce sens de nombreux éclairages…La langue amazighe emploie, pour désigner le lion, le mot izem qu’on retrouve avec le lieu Oulad Azem dans la région de Taounat, avec la station rupestre d'Akka Izem dans la province de Tata, ou avec Oued Zem, ville dont le noyau serait une kasbah érigée par le sultan Moulay Ismaïl près d’un oued, nommé dans les sources arabes anciennes, Ouadi al-Zamm, soit la Rivière du Lion. D’autres parlers disent plutôt aher qu’on retrouve dans la composition du nom d’Ahermoumou au cœur du Moyen-Atlas, avec pour même univers sémantique et linguistique: Tahert (la Lionne), ancienne capitale des Ibadites Beni Rustum.Sans oublier évidemment la présence des formes arabes en toponymie avec le mot Sbaâ, donnant Douirat Sbaâ près de Talsint ou Aïn Sbaâ à Casablanca.

Plus rarement, apparaît une variante de la forme plurielle «louyout» (au singulier layt), avec Sidi Belyout, commune urbaine de Casablanca, devant sa dénomination au saint patron de la ville (contraction d’Abou-Louyout, l’Homme aux lions), du temps où la région était familière de cette faune sauvage, comme l’atteste plus anciennement le témoignage du géographe al-Idrissi dans sa célèbre «Nouzhat al-Mouchtâq».

Dans la littérature hagiographique cette fois, les lions sont très présents en tant que force sauvage domptée par les saints.Ainsi en est-il de Sidi Rahhal, représenté dans l’imagerie populaire à dos d’un lion. Selon la légende, le Sultan Noir, voulant se débarrasser de lui et de ses idées subversives, l’enferma à la Qasbah de Boulaouane en compagnie d’un lion, pour le retrouver, peu après, chevauchant tranquillement le félin.

Que dire de Moulay Bouazza, que plusieurs récits mentionnent en de longues pages, tandis que d’autres ouvrages provenant d’éminents érudits lui sont complétement dédiés.Pour dire le rang considérable de ce personnage: un contemporain d’Averroès, décrit comme illettré, visité par les princes et les savants et dont le fameux disciple n’était autre que le saint et lettré sévillan inhumé plus tard à Tlemcen, Sidi Boumedienne, qui était venu le visiter dans son fief au sommet de la montagne.L’histoire retient la vie de Moulay Bouazza en ermite solitaire dans les cimes de l'Atlas, avant de descendre dans la plaine pour mieux vouer 18 années de son existence à l’errance sur la côte atlantique, réussissant, en domptant son âme, à apprivoiser jusqu’aux fauves. Cette faculté exceptionnelle est restée accolée à l’appellation de Sidi Harazem (contraction de la formule berbère Ihrey Izem, Celui qui conduit le lion), natif de Fès à la fin du règne almoravide.

Même dans l’univers juif marocain, des exemples similaires sont signalés, notamment par Haïm Zafrani dans son ouvrage «Deux mille ans de vie juive au Maroc». Il y rapporte le conte hagiographique appelé «Rabbi Jacob ben Shabbat et le lion», recueilli et imprimé à Livourne en 1881-87. On apprend en substance que, lors d’un voyage dans le sud du Maroc où étaient mêlés juifs et musulmans, le héros, né à Essaouira, avait tenu à s’arrêter en chemin pour respecter le shabbat. Devant sa ferme volonté de s’arrêter en un lieu peu sûr, il s’était vu abandonner, y compris par ses coreligionnaires, convaincus du danger de se séparer de la caravane. Il finit alors seul, en prières dans une grotte, puis en présence d’un lion gigantesque qui lui permit de le chevaucher à la sortie du shabbat afin d’être porté à l’entrée de la ville où il devait se rendre, avant l’arrivée prévue de la caravane, décimée par des brigands.

Je les entends d’ici, les irrémédiables sceptiques: «En voilà encore des récits teintés de couleurs exotiques, dignes des fantasmagories les plus fantaisistes!».Mais, domptons notre bête intérieure et laissons-nous guider par l’attrait du merveilleux en concluant avec ce récit d’Androclès, esclave du proconsul romain de la province d’Afrique!Echappant à la maltraitance et à la servitude, Androclès avait fait une étrange rencontre dans le désert, au fond d’une caverne ténébreuse, représentée par un lion, que l’iconographie dépeint avec sa crinière flottante, traînant une patte sanglante.Androclès lui retira la grosse écharde enfoncée entre ses griffes, source de l’infection et partagea sa vie dans son antre pendant trois ans. Plus tard, ayant été attrapé et jeté dans l’arène du circus maximus, Androclès fut reconnu et épargné par la bête, capturée aussi depuis leur séparation, faisant écrire dans La Légende des siècles par Victor Hugo: «Et, l’homme étant le monstre, ô lion, tu fus l’homme.»

Le 07/01/2023 à 10h58