CAN-2015: On a «trahi le roi»

Le roi Mohammed VI lors de l’une de ses tournées dans les pays de l’Afrique subsaharienne.

Le roi Mohammed VI lors de l’une de ses tournées dans les pays de l’Afrique subsaharienne.

Qui aurait cru que le Maroc allait se désister de l’organisation de la CAN-2015 à cause d’Ebola? Un argument que d’aucuns n’ont pas jugé convaincant. Il est du droit de tout un chacun de s’interroger sur les raisons ayant conduit les dirigeants marocains à demander le report de la CAN.

Le 16/01/2015 à 17h30

Force est de reconnaître que des contradictions patentes ont été observées dans la position du Maroc. Elles dénotent au mieux un manque de visibilité chez les responsables marocains qui ont tout simplement failli dans la gestion de ce dossier qui aurait conforté amplement la place de choix du Maroc sur la scène africaine.

Cependant, le gotha intellectuel et sportif africain a également son mot à dire sur cette «débâcle» marocaine qui risque de nuire à la crédibilité du royaume quant au respect de ses engagements pris et de lui porter préjudice dans son positionnement sur l’échiquier africain.

Mohammed VI, chantre de la coopération Sud-Sud

L’expert camerounais Guy Gweth est allé plus loin. Dans son ouvrage «Maroc-Afrique: ils ont trahi le Roi», à paraitre le jour même du début de la 30ème édition de la CAN-2015 en Guinée Equatoriale (samedi 17 janvier), il a qualifié ce fiasco de "trahison" du roi Mohammed VI qui, en tant que "chantre de la coopération Sud-Sud, a réconcilié une partie des Marocains avec l’Afrique subsaharienne et aidé à imposer de grands groupes marocains dans une quinzaine de pays francophones d’Afrique subsaharienne.»

En 29 visites d’Etat en Afrique et à travers 500 accords commerciaux signés, le Souverain ne "boude ni sa popularité ni son succès", affirme Gweth, un fin expert en intelligence économique et stratégique.

S’appuyant notamment sur des témoignages de politiques, de diplomates, de chefs d’entreprises et d’universitaires, cet essai montre qu’il a fallu "trahir le roi du Maroc pour tremper 15 ans de diplomatie économique et d’influence marocaine au sud du Sahara dans une coupe d’Afrique.»

Gweth tente, à travers cet opus, de prouver que le raté de la Coupe d’Afrique des nations 2015 aura des retombées négatives sur les relations économiques du Maroc avec les pays africains, même si de nombreux Marocains interrogés en préparation de son ouvrage ne partagent pas cette opinion. Ils sont persuadés que cet acte manqué purement sportif «n’aura pas d’impact sur les relations économiques qui lient le royaume aux pays d’Afrique subsaharienne.»

En 1988, le Souverain, alors prince héritier, remit le trophée de la CAN au Cameroun

L’auteur rappelle que la première rencontre du roi Mohammed VI avec les peuples d’Afrique a eu lieu lors d’une phase finale de Coupe d’Afrique des nations (CAN). La Zambie s’étant désistée à la dernière minute, le Maroc décida au pied levé d’abriter, du 13 au 27 mars 1988, la 16ème édition de la CAN de football. «Sa Majesté le Roi Hassan II profita de ce grand rendez-vous africain pour mettre son successeur en avant. Le 12 mars 1988, au stade Mohammed V de Casablanca, c’est Son Altesse Royale le prince héritier Sidi Mohammed qui remit de trophée de la CAN au Cameroun, vainqueur du Nigeria (1-0) devant 50.000 spectateurs et plusieurs millions de téléspectateurs», souligne l’écrivain. «Lorsque, le 23 juillet 1999, le prince héritier Sidi Mohammed devient Mohammed VI, de nombreux Africains, et j’en suis, se souviennent du 'prince de la CAN' vu à la télé… Consciemment ou non, une partie de l’opinion africaine se prend d’affection pour ce jeune Roi rattaché aux valeurs sportives, à la faveur d’un souvenir sportif…», écrit-il dans son ouvrage.

«Ironie de l’histoire, c’est sous le règne de Mohammed VI que le Maroc évoque le virus Ebola pour demander le report de la CAN, la compétition sportive la plus suivie d’Afrique, la compétition qui l’a fait Roi d’Afrique auprès des masses populaires…», estime Gweth.

Avec du recul, on pourrait croire, ultime ironie de l’histoire, que le Maroc divorce de l’Afrique tous les 30 ans. Le 12 novembre 1984, le royaume chérifien quittait la défunte Organisation de l’unité africaine (OUA). Le 11 novembre 2014, la CAF lui retirait l’organisation de la CAN-2015, retrait doublé d’une suspension des compétitions africaines, relève l’auteur du livre.

En vérité, seule une diplomatie "globale", "cohérente" et conséquente pourra aider Rabat à retrouver la voie royale dans la tête et le cœur des Africains», soutient-il.

Par Hicham Alaoui
Le 16/01/2015 à 17h30